HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE *

PREMIÈRE HOMÉLIE. Après son retour de la campagne. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. Sur le chagrin du roi Achab et sur le prophète Jonas. *

TROISIÈME HOMÉLIE. De l'aumône et des vierges. *

QUATRIÈME HOMÉLIE. *

CINQUIÈME HOMÉLIE (1). Du jeûne ; — sur le prophète Jonas ; — sur Daniel et les trois jeunes hommes ; — sur la Pénitence ; — elle a été prononcée au commencement du Carême. *

SIXIÈME HOMÉLIE. Prononcée la quatrième semaine de la sainte Quarantaine. *

SEPTIÈME HOMÉLIE. De la pénitence ; — de la componction ; — que Dieu est prompt à sauver, lent à punir ; histoire de Rahab. *

HUITIÈME HOMÉLIE (1). *

NEUVIÈME HOMÉLIE. De la pénitence. — De ceux qui ont manqué au assemblées. — De la sainte table. — Du jugement. *

 

 

 

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE. Après son retour de la campagne.

ANALYSE.

1° Saint Chrysostome, absent quelque temps, reparaît au milieu de son cher auditoire; son coeur s'épanche en sentiments affectueux, puis il cesse de parler de lui-même pour décrire la tendresse plus que maternelle de l'apôtre saint Paul pour ses enfants dans la foi. — 2° Le désespoir et la négligence sont également dangereux. — Ces deux défauts ont perdu Satan et judas. — Une humble confiance a sauvé saint Paul, le publicain, les Ninivites; saint Paul redoute plus dans le fornicateur le désespoir après la faute que la faute elle-même. — 3° Développement de la même pensée et du même exemple. — 4° L'orateur confirme encore cette vérité par l'exemple de l'enfant prodigue.

1. Avez-vous pensé à moi pendant mon absence? Moi, mes amis, je n'ai pu vous oublier j'ai quitté la ville, mais je n'ai pas quitté votre souvenir.; comme ceux qui sont épris d'amour pour un beau corps en portent partout avec eux la chère image, de même, épris d'amour pour la beauté de vos âmes, j'en ai porté toujours avec moi la gracieuse pensée. De même encore qu'un peintre a coutume de mêler des couleurs variées pour tracer un portrait, de même je me représentais votre zèle à venir aux offices sacrés, votre ardeur à entendre la parole divine, votre bienveillance envers le prédicateur, toutes vos autres bonnes oeuvres ; je les mêlais ensemble comme les nuances diverses de la vertu; j'esquissais en quelque sorte et je reproduisais aux yeux de ma mémoire la physionomie de vos âmes, et je puisais dans la contemplation de cette image une abondante consolation aux peines de mon éloignement. A la maison et au dehors, en route ou en repos, à l'arrivée ou au départ, toujours je pensais à cela, toujours je rêvais à votre charité ; et de jour et de nuit je trouvais dans votre souvenir un délicieux aliment. Ce qu'a dit Salomon : Je dors, mais mon coeur veille (Cantiq. V, 2), je l'ai ressenti. La force du sommeil fermait mes paupières, mais la douce tyrannie de l'amour que j'ai pour vous tenait éveillés les yeux de mon coeur. Que de fois en songe il m'a semblé que je causais avec vous ! L'âme est naturellement disposée à se représenter pendant la nuit les images des objets qui occupent sa pensée pendant le jour : c'est ce qui m'est arrivé. Je ne vous voyais pas des yeux de la chair, je vous apercevais parles yeux de l'amour; absent de corps, j'étais présent de coeur au milieu de vous, et le bruit de vos acclamations retentissait toujours à mes oreilles. Aussi, quoique ma mauvaise santé m'obligeât de prolonger là-bas mon séjour; quoique la salubrité du climat profitât au rétablissement des forces, la (274) vivacité et l'énergie de mon affection pour vous ne me permirent pas de rester; elles réclamèrent à grands cris, elles ne cessèrent de me persécuter jusqu'à ce qu'elles m'eussent persuadé de partir avant le terme fixé et de regarder ma présence au milieu de vous comme ma santé, comme mon bonheur, comme la totalité de mon bien. Pendant mon séjour là-bas, j'entendais les reproches que vos lettres m'apportaient sans interruption : car je ne donnais pas une moindre attention à celles qui me blâmaient qu'à celles qui m'approuvaient du reste ces plaintes étaient celles de coeurs qui savent aimer. C'est pourquoi je suis parti, je suis accouru, il m'a été impossible de vous chasser de mon esprit. Et qu'y a-t-il à s'étonner de ce que j'aie conservé le souvenir de votre charité dans le loisir et la liberté de la vie des champs, quand nous voyons saint Paul entouré de chaînes, enfermé dans un cachot, menacé par mille et mille dangers, regardant néanmoins sa prison comme un jardin délicieux, se souvenir de ses frères et leur écrire : Il est juste que j'aie ces sentiments de vous tous, parce que je vous ai dans mon coeur et dans mes chaînes, dans la défense et dans l'affermissement de l'Evangile ? (Philipp. I, 7.) A l'extérieur il est enchaîné par ses ennemis, à l'intérieur il l'est par l'amour de ses disciples; la chaîne extérieure est faite d'acier, la chaîne intérieure est faite de charité; il a plus d'une fois échappé à la première, il n'a jamais rompu la seconde. De même que les femmes, quand elles ont subi l'épreuve des douleurs maternelles, demeurent attachées en tous temps et en tous lieux aux enfants qu'elles ont mis au inonde , de même saint Paul demeurait attaché à ses disciples d'autant plus fortement que l'enfantement spirituel développe plus de chaleur et de tendresse que l'enfantement charnel. Ce n'est pas une fois, mais deux fois qu'il eut à les enfanter : il s'écria : O mes enfants, vous que j'enfante de nouveau! (Gal. IV, 19.) La femme ne souffrirait pas, ne supporterait pas deux fois de suite les mêmes douleurs; mais saint Paul eut à subir ce que la nature ne peut nous montrer, il eut à reprendre dans les entrailles de sa charité ces disciples qu'il avait déjà enfantés une fois et à endurer pour eux les douleurs les plus aiguës ; c'est pourquoi il leur disait pour les toucher : O mes enfants, vous que j'enfante de nouveau ! c'est-à-dire épargnez-moi; jamais un enfant n'a fait souffrir deux fois le sein de sa mère, et pourtant vous me réduisez à cela. Les douleurs de l'enfantement charnel sont terminées en quelques instants, elles cessent dès que l'enfant est sorti; mais les douleurs de l'enfantement spirituel durent des mois entiers. Et souvent saint Paul les supporta une année entière sans parvenir à mettre au monde les enfants que sa charité avait conçus. Là, c'est un travail de la chair; ici, ce n'est pas le corps qui souffre, c'est l'âme qui est déchirée. Ici les souffrances sont plus rudes et plus pénibles que là; en effet, quelle mère a jamais souhaité subir la géhenne plutôt qu'un enfantement? Et saint Paul a désiré, non-seulement subir la géhenne, mais encore devenir anathème au Christ (Rom. IX, 3), afin de pouvoir amener à la lumière de la foi ces Juifs qu'il enfantait par un travail quine cessait pas et ne finissait jamais; impuissant à y parvenir, il disait en gémissant: Ma tristesse est immense, et la douleur est continuellement dans mon coeur. (Rom. IX, 9.) Et dans un autre endroit: O mes petits enfants !je vous enfante de nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. (Gal. IV, 19.) Y a-t-il des entrailles plus heureuses que celles qui ont nourri des enfants capables de porter en eux le Christ, plus fécondes que celles qui ont donné naissance au monde entier, plus puissantes que celles qui ont pu concevoir une seconde fois et former de nouveau ces enfants déjà grandis, mais contrefaits ?

Voilà qui dépasse les forces de la nature. Saint Paul ne dit pas : vous que j'ai engendrés de nouveau; mais il dit : ô vous que j'ai enfantés de nouveau! car dans un autre endroit il s'écrie : Je vous ai engendrés en Jésus-Christ. (I Cor. IV, 15.) Ici il ne veut qu'indiquer le lien de parenté spirituelle qui l'unit à eux; là il s'efforce d'exprimer les douleurs qu'il éprouva à cause d'eux. Comment peut-il appeler ses enfants ceux qu'il n'a pas encore enfantés? S'il est encore dans les douleurs, il ne les a pas encore enfantés; et comment peut-il les appeler ses enfants? Il veut leur apprendre que ce n'est pas pour la première fois qu'il endure cette sorte de souffrance; c'était assez pour les faire rougir. Je suis devenu père une fois, dit-il; j'ai supporté déjà pour vous le travail nécessaire de l'enfantement; vous êtes une fois déjà mes enfants : pourquoi me jetez-vous une seconde fois dans les mêmes douleurs ? n'était-ce point assez de (275) celles que j'ai endurées au commencement? Pourquoi me faites-vous souffrir de nouveau? Les chutes des fidèles ne lui causaient pas de moindres peines que la conversion des infidèles : il ne pouvait supporter que plusieurs d'entre eux, après avoir participé aux mystères sacrés , retournassent librement à l'impiété; c'est pourquoi il poussait ces gémissements plus amers et plus tristes que ceux d'une mère : O mes petits enfants! je vous enfante de nouveau, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. (Gal. IV, 19.) Il parlait ainsi pour leur inspirer à la fois crainte et confiance. En leur déclarant que le Christ n'est pas encore formé en eux, il jette dans leur coeur l'inquiétude et la crainte; mais en leur indiquant que le Christ peut être formé en eux , il leur rend l'espérance. Cette expression " jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous " signifie ces deux choses, et qu'il n'est pas encore formé et qu'il peut être formé : en effet, s'il ne pouvait pas l'être, ce serait inutilement que l'Apôtre leur dirait : Jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous; il les nourrirait d'un espoir vain et trompeur.

2. Puisque nous savons cela, prenons garde de nous livrer soit au désespoir, soit àla négligence : ces deux excès sont également funestes. Le désespoir enlève à celui qui est à terre la force de se relever; la négligence fait tomber celui qui est debout. Le désespoir nous enlève les biens déjà acquis, la négligence nous empêche d'écarter de nous les maux qui nous menacent. La négligence peut nous faire chasser du ciel même; le désespoir nous plonge dans un abîme d'iniquité , duquel nous sortirions promptement si nous conservions bon courage. Considérez la puissance de ces deux vices : Satan était bon à l'origine; par la négligence et par le désespoir il tomba dans un tel excès de péché et de malice qu'il ne s'en relèvera jamais. Je dis qu'il était bon : écoutez en effet les paroles de l'Écriture : J'ai vu Satan tomber dit ciel comme l'éclair. (Luc. X, 18.) Cette comparaison indique à la fois l'éclatante pureté de sa première vie et la rapidité de sa chute. Saint Paul fut d'abord blasphémateur, persécuteur insolent de la vérité; mais plus tard il l'aima, il ne perdit pas espérance, il se releva, et finit par devenir l'égal des anges. Judas fut d'abord apôtre; mais par sa négligence, il devint un traître infâme; le larron se souilla d'abord de toutes sortes de crimes; mais, comme il ne désespéra pas, il mérita d'entrer au paradis avant tout autre. Le pharisien, plein d'une folle confiance , fut précipité des hauteurs de sa vertu, tandis que le publicain, animé d'une humble espérance, se releva assez pour devancer celui qui l'avait méprisé. Voulez-vous voir une ville entière nous donner par sa conduite le même exemple? Eh bien, c'est par ce moyen que Ninive se sauva de la ruine : elle ne désespéra pas, quoique la sentence fût déjà portée. Dieu n'avait pas dit

" Si Ninive fait pénitence, elle sera sauvée; " mais il avait dit : Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Jonas, III, 4.) Ainsi voilà Dieu qui menace, voilà le prophète qui élève sa voix puissante, voilà la sentence qui ne laisse aucun délai et qui ne se prête à aucune distinction

et, malgré tout, Ninive ne se décourage pas, Ninive ne désespère point. Dieu ne marque aucune distinction dans son arrêt, il s'abstient de dire : " S'ils font pénitence, ils seront sauvés; " afin de nous faire comprendre que, nous aussi, au lieu de perdre courage quand nous entendrons prononcer contre nous un jugement sans appel, nous devons, à l'exemple des Ninivites, conserver l'espérance.

La clémence divine ne se montre pas seulement en ce que Dieu , après avoir porté une sentence qui ne donne lieu à aucune distinction, se réconcilie avec ces pécheurs repentants; mais encore elle se montre précisément en ce qu'il prononce un arrêt absolu. Il emploie ce moyen parce qu'il veut leur inspirer la crainte et émouvoir leur profonde indifférence : le temps laissé à la pénitence est une marque de l'ineffable amour de Dieu pour les hommes. Comment trois jours auraient-ils suffi pour effacer tant de crimes? Voyez-vous avec quel éclat apparaît la bonté providentielle du Seigneur? C'est elle qui a le plus fait pour le salut de Ninive. Comprenons cela et ne perdons jamais l'espérance. Le démon n'a pas entre les mains d'arme plus redoutable que le désespoir; aussi lui faisons-nous moins de plaisir en péchant qu'en désespérant. Écoutez saint Paul; il redoute plus dans le fornicateur le désespoir après la faute que la faute elle-même ; il écrit aux Corinthiens : C'est un bruit constant qu'il y a de l'impureté parmi vous , et une impureté telle qu'elle n'a pas même de nom chez les païens. (I Cor. V, 1.) Il ne dit pas " qui n'est pas même commise " chez les païens; mais il dit : Qui n'est pas (276) même nommée; ce que les païens n'osaient pas nommer, les Corinthiens ont osé le commettre. Et vous êtes enflés d'orgueil ! Il ne dit pas e le coupable est enflé d'orgueil; " mais, laissant pour un instant celui qui a péché, il adresse la parole à ceux qui se sont préservés ainsi agissent les médecins, qui, se détournant du lit du malade, entretiennent conversation avec les parents. D'ailleurs les Corinthiens avaient peut-être contribué tous à la folle arrogance du coupable en ne le reprenant pas, en ne le punissant pas. Saint Paul étendit à tous son accusation afin de rendre plus facile la guérison de la blessure. Le péché est chose grave, mais plus grave encore est l'orgueil dans le péché. En effet, si c'est perdre la justice que de s'enorgueillir de la justice , à plus forte raison l'orgueil dans le péché ruinera-t-il notre âme complètement et nous chargera-t-il d'une culpabilité plus grande que les péchés eux-mêmes. C'est pourquoi il est dit : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites que vous êtes des serviteurs inutiles. (Luc, XVII, 10.)

Si ceux qui ont accompli toute la loi doivent s'humilier, combien plus faut-il que le pécheur verse des larmes et s'estime le dernier des misérables. C'est ce que saint Paul indique en disant : Pourquoi plutôt n'avez-vous pas pleuré? (I Cor. V, 2.) Que dites-vous, ô apôtre? un autre a péché et c'est moi qui dois pleurer? — Oui ! répond-il : nous sommes liés les uns aux autres à la manière des organes et des membres du corps ; quand le pied reçoit une blessure, ne voyez-vous pas la tête s'incliner vers la terre ? et pourtant qu'y a-t-il de plus vénérable que la tète? Mais, lorsqu'arrive un accident elle ne songe pas à sa dignité : faites comme elle. C'est pourquoi saint Paul nous exhorte à nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie, à pleurer avec ceux qui pleurent. (Rom. XII, 15.) C'est pourquoi aussi il dit aux Corinthiens : Et vous n'avez pas pleuré pour éloigner de vous celui qui a commis ce péché. (I Cor. V, 2.) Il ne dit pas: et vous n'avez pas senti votre zèle s'enflammer; mais il dit : Et vous n'avez pas pleuré, comme si une contagion, une peste eût enveloppé toute la ville, comme s'il eût voulu dire : La prière, la confession, les supplications, voilà ce dont vous avez besoin pour chasser le mal de votre cité. Voyez-vous comme il cherche à leur inspirer la crainte ? Comme ces Corinthiens se rassuraient à l'idée que le mal s'était arrêté au seul homme qui avait péché, l'Apôtre les met tous en cause : Ignorez-vous, leur dit-il, qu'un peu de levain corrompt la masse entière (I Cor. V, 6) ? paroles qui signifient ceci : Le mal va son chemin , il atteindra tous les autres membres : vous devez avoir les mêmes inquiétudes que s'il s'agissait de prendre conseil dans une calamité publique. Ne me dites pas qu'un seul homme a péché ! Sachez bien que le péché est un chancre qui ronge peu à peu tout le corps. Lorsqu'une maison prend feu, les voisins qui ne sont pas encore atteints par les flammes n'éprouvent pas moins de souci et d'anxiété que les malheureuses victimes du fléau ; ils prennent toutes les me sures nécessaires pour 'préserver leurs demeures des violences de l'incendie; de même saint Paul excite les Corinthiens en ces termes: Vous êtes sur un bûcher; prévenez un malheur; éteignez l'incendie avant qu'il s'étende sur l'Eglise entière. Si vous négligez le péché sous prétexte qu'il a son siège ailleurs qu'en vous-mêmes, vous êtes déjà fort malades. Cet homme pécheur est membre du corps entier.

3. Comprenez bien encore que, si vous restez paresseux et indifférent, vous serez atteint à votre tour : laissez-vous toucher, sinon par le sort de votre frère, du moins par le vôtre. Arrêtez la peste, détruisez le chancre, enlevez la gangrène. Après avoir dit tout cela et beaucoup d'autres choses encore, il ordonna de livrer le fornicateur à Satan; puis, quand il vit le pénitent revenu à des dispositions meilleures : C'est assez, dit-il, de la punition qui lui a été infligée par la plupart d'entre vous.... Rétablissez solidement votre charité à son égard. (II Cor. II, 6, 8.) Après l'avoir posé comme l'adversaire et l'ennemi de tout le peuple, après l'avoir séparé du troupeau et retranché du corps, voyez quel zèle il déploie pour le ramener et le rattacher à l'Eglise. Il ne dit pas seulement : aimez-le ; mais il dit : rétablissez solidement votre charité envers lui, ce qui signifie : montrez-lui une amitié ferme et inébranlable, une chaude affection, un ardent dévouement : accordez-lui une dilection égale à la haine que vous avez eue d'abord pour son péché. — Qu'est-il arrivé, dites-moi ?Ne l'avez-vous pas livré à Satan ? — Oui, répond l'Apôtre: je l'ai livré aux mains de Satan, mais non pas pour qu'il y demeure à jamais enchaîné; je (277) l'ai livré pour le délivrer promptement de la tyrannie diabolique. Et, comme je l'ai expliqué plus haut, saint Paul redoute le désespoir comme l'arme la plus terrible du démon ; écoutez-le : après avoir dit : rétablissez solidement votre charité envers lui, il exprime son motif : de peur que cet homme ne se laisse accabler par un excès de tristesse. (Ibid. 7.) La brebis est déjà dans la gueule du loup; arrachons-la avant qu'un de nos membres soit dévoré et périsse. Le navire est en péril ; travaillons à le sauver du naufrage avant qu'il soit englouti par l'abîme. De même que la mer en gonflant et en soulevant ses flots de toutes parts submerge facilement une petite barque ; ainsi notre âme est bientôt écrasée par la tristesse qui l'assaille sur tous les points, si personne ne lui tend une main compatissante; et cette tristesse, cette douleur, qui est notre salut dans l'état de péché, devient notre perte dès qu'elle passe les justes limites. Et voyez avec quel soin l'Apôtre choisit ses expressions ! Il ne dit pas : de peur que le démon ne perde cet homme; mais il dit : de peur que nous ne soyons circonvenus par le démon. (II Cor. II, 11.) Circonvenir, c'est chercher à voler ce qui appartient à autrui : aussi, pour montrer que ce pécheur est devenu étranger au démon et qu'il est rentré par la pénitence au bercail du Christ, saint Paul dit " de peur que nous ne soyons circonvenus par Satan. " Si Satan reprenait possession de cet homme, il nous enlèverait un de nos membres, il volerait une brebis dans le troupeau du Christ : le péché a disparu par la pénitence.

Saint Paul, sachant ce que le démon avait fait à Judas, craignit qu'il ne fît encore ici la même chose. Qu'avait-il fait à Judas? Judas se repentit : J'ai péché, dit-il, en livrant le sang du juste. (Matth. XXVII, 4.) Le diable entendit ces mots, reconnut que le traître entrait dans une voie meilleure, et revenait au salut; il redouta une conversion. Il a, dit-il, un maître doux et clément qui a versé des larmes sur cet homme qui le trahissait, qui a cherché par mille moyens à le toucher : ne le recevra-t-il pas mieux encore quand il le verra pénitent? Il l'a appelé et attiré à lui quand il le savait obstiné et incorrigible; ne fera-t-il pas davantage encore quand il le verra corrigé et repentant? c'est pour cela qu'il est venu se faire crucifier. Que fit le démon ? Il épouvanta Judas, il l'enveloppa de ténèbres en le poussant à un chagrin excessif, il le poursuivit, il l'aiguillonna jusqu'à ce qu'il l'eût amené à se pendre, jusqu'à ce qu'il l'eût jeté hors de cette vie; il lui ôta la volonté de faire pénitence. S'il eût vécu, Judas eût pu conquérir aussi le salut, comme le prouve l'exemple des bourreaux qui crucifièrent le Sauveur. Si le Christ, attaché sur la croix, accorda la grâce du salut à ses meurtriers, s'il sollicita et réclama de son Père l'indulgence pour un tel forfait, n'est-il pas évident qu'il eût accueilli avec une infinie mansuétude le traître même qui eût fait une digne pénitence ? Mais celui-ci absorbé par une tristesse mal réglée, n'eut pas la force d'employer jusqu'au bout le remède nécessaire. C'est ce que craignait saint Paul quand il excitait les Corinthiens à arracher le fornicateur de la gueule du démon. Mais pourquoi tant parler des Corinthiens? Saint Pierre, après avoir participé aux divins mystères, renia trois fois son Maître ; mais il pleura et effaça tous ses péchés. Saint Paul, après avoir été persécuteur, calomniateur, blasphémateur de la vérité, après avoir poursuivi de sa haine non-seulement le Crucifié, mais tous ses disciples, saint Paul se convertit et devint apôtre. Dieu ne nous demande que de lui fournir une petite occasion et il nous remet tous nos péchés. Je veux vous expliquer une parabole qui confirme ce que je viens d'avancer.

4. Deux frères se partagèrent les biens paternels: l'un demeura dans la maison; l'autre, après avoir dévoré tout ce qu'il avait reçu, n'eut pas la force de supporter la honte de sa pauvreté; il s'exila loin de sa patrie. (Luc, XV, 11.) Je mets sous vos yeux cette parabole pour vous montrer que vous pouvez, si vous voulez, obtenir la rémission des péchés que vous avez commis après le baptême : et ce que j'en dis n'a pas pour but de vous encourager à l'indifférence, mais de vous retirer du découragement. Cet enfant dissipateur représente ceux qui sont tombés après leur baptême ; j'en vois la preuve en ceci, qu'il est appelé fils : sans le baptême, nul ne saurait porter ce nom. Il avait habité la maison paternelle, il avait eu sa part dans les propriétés paternelles; avant le baptême, nul ne peut toucher aux biens du Père céleste, ni entrer dans son héritage : tous ces traits sont donc une esquisse de l'état des fidèles. De plus, il était frère d'un homme sans reproche; or, sans la régénération spirituelle, il n'y a pas de vraie (278) fraternité. Il tomba au dernier degré de la misère que dit-il alors? Je retournerai à mon père. (Luc, XV, 18.) Son père l'avait laissé partir, son père n'avait mis aucun obstacle à sa fuite sur une terre étrangère, afin que ce malheureux enfant comprît bien par sa propre expérience quelle faveur et quel bonheur c'était pour lui d'habiter la demeure paternelle. Dieu aussi, après nous avoir parlé sans nous persuader, emploie souvent l'expérience pour faire entrer sa doctrine en nous. C'est ce qu'il déclara aux Juifs; il dépensa par l'organe des prophètes des milliers et des milliers de paroles; mais, n'ayant pu ni les convaincre ni les toucher, il voulut les instruire par le châtiment et il leur dit : Votre révolte vous enseignera et votre méchanceté vous corrigera. (Jérém. II, 19.) La parole de Dieu n'avait pas besoin de la confirmation des événements pour être digne de foi; mais comme les Juifs avaient été assez endurcis et aveuglés pour ne pas ajouter foi aux menaces et aux avertissements du Seigneur, celui-ci, prenant ses précautions pour les empêcher de céder complètement à leur malice, disposa tout de telle sorte que la force des choses les éclairât et les corrigeât : il voulut les recouvrer au moins par ce moyen.

Lors donc que l'enfant prodigue eut appris par expérience sur la terre d'exil combien il est fâcheux d'abandonner le toit paternel, il y revint; et son père, oubliant l'injure, le reçut à bras ouverts. Pourquoi cela? parce qu'il était père et non pas juge ! Et des danses, et des festins, et de joyeuses assemblées eurent lieu : la maison était tout entière dans l'allégresse. — Que dites-vous là? Est-ce ainsi qu'on récompense le vice? Non! mon ami, on ne récompense pas le vice, mais le retour de l'enfant; on ne récompense pas le péché, mais la pénitence; on ne récompense pas l'iniquité, mais la conversion. Et voici qui est mieux encore : comme le fils aîné s'indignait, le père l'apaise doucement en lui disant : Toi, tu es toujours avec moi; mais celui-ci était perdu et il est retrouvé; il était mort et il est ressuscité. (Luc, XV, 31.) Lorsqu'il faut, dit-il, sauver ce qui va périr, ce n'est le temps ni de juger ni d'examiner sévèrement, c'est le moment de la clémence et du pardon. Un médecin ne s'avise pas d'infliger à un malade la punition et le châtiment de ses fautes au lieu de lui appliquer les remèdes convenables. Si l'enfant prodigue a mérité une punition, il l'a subie suffisamment pendant son séjour sur la terre de l'exil tout ce temps-là en effet il a été éloigné de nous, il a souffert de la faim, de la honte; il a été aux prises avec toutes ces misères: c'est pourquoi il était perdu et le voici retrouvé; il était mort et le voici ressuscité. N'examinez pas le présent, mais songez à la grandeur des calamités; c'est un frère que vous revoyez, non pas un étranger; c'est à son père qu'il revient, à son père qui ne peut pas se souvenir du passé, ou plutôt qui ne peut se souvenir que des choses bonnes à l'entraîner vers cette compassion, cette miséricorde, cette douceur, cette indulgence qui conviennent si bien à son coeur. C'est pourquoi il se souvient, dit-il, non pas de ce que le prodigue a fait, mais de ce qu'il a souffert; non pas de ce qu'il a dissipé son bien, mais de ce qu'il a enduré des maux infinis. C'est ainsi que Dieu cherche la brebis égarée avec une ardeur pareille, que dis-je? avec une ardeur plus vive encore.

Le prodigue revient de lui-même à son père; mais le bon pasteur va en personne quérir la brebis ; puis, quand il l'a retrouvée, il la ramène, et il se réjouit pour elle plus que pour toutes les autres qui étaient en parfaite sûreté. Et comment la ramène-t-il ?au lieu de la frapper, il la charge sur ses épaules, il la rapporte lui-même au bercail. (Luc, XV, 4, 6.) Si nous comprenons bien ces paraboles, nous verrons que Dieu, loin de fuir ceux qui reviennent à lui, leur réserve un accueil non moins cordial qu'à ceux qui ont persévéré constamment dans la vertu, et que, loin d'exiger d'eux une rude expiation, il va lui-même à leur recherche quand il les a retrouvés et ramenés, il a plus de joie de leur conversion qu'il n'en a de la persévérance des justes qui sont restés en position sûre. Ainsi, dans le mal ne désespérons pas; dans le bien ne nous enflons pas; lorsque nous avons accompli notre devoir, craignons que plus tard une folle confiance ne nous fasse tomber; lorsque nous avons péché, repentons-nous. Ce que j'ai dit en commençant, je le répète : nous enorgueillir quand nous sommes debout, nous désespérer quand nous sommes à terre, c'est dans l'un comme dans l'autre cas trahir notre salut. C'est afin de rendre plus vigilants ceux qui sont debout, que saint Paul a dit: Que celui qui se tient ferme prenne garde de tomber (I Cor. X, 12) ; et ailleurs: Je crains qu'après avoir prêché les autres je ne devienne moi-même un réprouvé. (I Cor. IX, 27.) Mais, (279) pour relever ceux qui avaient failli et pour exciter de plus en plus leur courage, il écrivait aux Corinthiens : Puissé-je n'être pas obligé de pleurer sur un grand nombre de ceux qui ont péché et qui n'ont pas fait pénitence. (II Cor. XII, 21.) Ces paroles prouvent qu'il nous faut pleurer les impénitents plutôt que les pécheurs. Le Prophète leur a dit : Est-ce que celui qui est tombé ne se relève pas ? Est-ce que celui qui s'est éloigné ne revient pas ? (Jér. VIII, 4.) Et David les a exhortés en ces termes : Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs. (Psaum. XCIV, 8.) Tant que nous pouvons dire aujourd'hui, ne perdons pas courage; au contraire, plaçant en notre Maître nos plus chères espérances, songeons à sa miséricorde, immense comme l'Océan; chassons le mal de notre conscience, attachons-nous avec courage et confiance à la pratique de la vertu, montrons ces sentiments de repentir qui triomphent de tout, afin que, après nous être déchargés ici-bas de tout péché, nous puissions comparaître sans crainte devant le tribunal du Christ et obtenir ce royaume des cieux, auquel puissions-nous tous participer un jour par la grâce et la charité du Christ Notre-Seigneur qui, avec le Père et l'Esprit-Saint, possède la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. Sur le chagrin du roi Achab et sur le prophète Jonas.

ANALYSE.

1° Etes-vous pécheur, ne vous découragez pas; si Caïn n'a pas obtenu son pardon, c'est qu'il s'est découragé. — 2° Si David a obtenu le sien, c'est parce qu'il a eu confiance, parce qu'il a fait ce que dit le Prophète : Confesse toi-même le premier ton péché, afin que tu sois justifié. — Confesser son péché, première voie de pénitence. — 3° Pleurer son péché, deuxième voie de pénitence. — Exemple d'Achab, histoire de Naboth. — Jonas et les Ninivites. — 4° Troisième voie de pénitence, l'humilité. — Exemple du pharisien et du publicain. — 5° Humilité de saint Paul. — Exhortation.

1. Vous avez vu, dimanche dernier, un assaut et une victoire : l'assaut donné par le diable, la victoire remportée par le Christ. Vous avez vu comment la pénitence est célébrée et comment le diable succombant à sa blessure, a tremblé et frémi. — Pourquoi craindre, ô démon, à l'éloge de la pénitence? Pourquoi gémir? Pourquoi frissonner de peur? — Oui,

réplique-t-il, c'est à bon droit que je m'afflige et me désole ! cette pénitence me vole mes meilleurs instruments ! Lesquels donc? — La courtisane, l'usurier, le larron, le blasphémateur ! — Et, de fait, il est certain que la pénitence lui enlève plusieurs de ses moyens d'action, renverse sa propre citadelle et le frappe lui-même d'un coup mortel : vous le (280) comprenez, mes chers amis, par les faits qu'une récente expérience vous a montrés. Pourquoi donc ne profitons-nous pas de telles instructions, pourquoi ne fréquentons-nous pas chaque jour l'église afin d'y embrasser la pénitence? Si vous êtes pécheurs, entrez à l'église afin d'y déclarer vos péchés; si vous êtes justes, entrez à l'église afin que vous ne défailliez pas dans votre justice; dans l'un comme dans l'autre état, notre refuge est l'église.

Etes-vous pécheur? Ne vous découragez pas, mais entrez en vous mettant à couvert derrière la pénitence. Avez-vous péché ? Dites à Dieu j'ai péché! Quelle peine faut-il, quel détour, quelle fatigue, quelle inquiétude pour dire ce mot : j'ai péché? Et si vous ne vous proclamez pas pécheur, n'avez-vous pas le diable pour accusateur? Prenez l'avance, enlevez-lui son rôle : son rôle est d'accuser. Pourquoi ne le prévenez-vous pas? Pourquoi ne pas dire votre péché et ne pas purger votre faute, puisque vous savez bien que vous êtes en face d'un accusateur qu'on ne peut faire taire? Avez-vous péché? Entrez donc à l'église et dites à Dieu " j'ai péché. " Je n'exige de vous nulle autre chose que celle-là : car la divine Écriture dit : Pour être justifié, déclare toi-même le premier ta faute. (Isaïe XLIII, 26.) Déclarez le péché pour détruire le péché. En cela il n'est besoin ni de fatigue, ni de périodes oratoires, ni de dépenses d'argent, ni de rien de pareil : dites un mot, dites-le avec une loyale franchise : j'ai péché. — Mais, objectera quelqu'un, d'où vient que je me délie du péché si je déclare le premier mon péché?-Je vois dans l'Écriture un homme qui déclare son péché et s'en délivre; et j'en vois un autre qui ne déclare pas son péché et se fait condamner. Caïn, poussé par l'envie, tue son frère Abel l'envie est l'avant-garde du meurtre; il le surprend dans la campagne, il le fait disparaître. Qu'est-ce que Dieu lui dit? Où est ton frère Abel ? (G en. IV, 9.) S'il l'interroge, ce n'est pas qu'il ignore rien, lui qui connaît tout; mais il veut attirer le meurtrier à la pénitence. Il montre assez qu'il n'ignore pas quand il demande: où est ton frère Abel. Caïn répond: Je n'en sais rien: suis-je donc le gardien de mon frère? — Soit, tu n'es pas son gardien, pourquoi es-tu donc son assassin? tu ne le gardais pas, pourquoi l'as-tu tué? — Au moins confesses-tu cela ! Eh bien, tu es coupable, et tu répondras même de ce que tu ne l'as pas gardé! Que lui répond le Seigneur? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. (Ibid.) Il le confond sur-le-champ; il lui inflige le châtiment non pas tant à cause du meurtre qu'à cause de son impudence : Dieu ne déteste pas tant le pécheur que l'effronté. II ne reçoit pas Caïn venant à pénitence, certainement parce que celui-ci n'a pas le premier avoué son péché. Que dit-il en effet? Mon péché est trop grand pour qu'il me soit remis ? (Ibid.) C'est comme s'il disait : j'ai commis une faute énorme, je ne suis pas digne de vivre. Et que lui répond le Seigneur? Tu seras sur la terre gémissant et tremblant (Ibid. 12) : il lui impose une lourde et rude punition. Je ne te frappe pas de mort, dit-il, pour ne pas livrer la vérité à l'oubli, mais je fais de toi une loi visible et intelligible pour tous afin que ta vie misérable devienne mère de la sagesse. Et Caïn s'en alla partout, loi vivante, colonne animée dont le silence faisait retentir le décret divin avec plus d'éclat que le son des trompettes. Ne faites pas comme moi, disait-il, si vous ne voulez pas souffrir comme moi. Il fut châtié à cause de son impudence; au lieu d'avouer sa faute, il se laissa convaincre, et il fut condamné. S'il l'eût confessée spontanément, il l'eût effacée le premier.

2. Pour bien comprendre que les choses sont comme j'ai dit, comprenez comment un autre homme, en déclarant lui-même son péché, en a rompu le lien. Allons à David, le prophèteroi; mais je l'appelle plus volontiers du nom de prophète, parce que son royaume se bornait à la Palestine, tandis que ses prophéties ont atteint les limites extrêmes de l'univers; sa royauté s'est écoulée en peu de temps, tandis que ses prophéties ont fait entendre des paroles immortelles. Il est plus facile au soleil de s'éteindre qu'aux paroles de David de tomber en oubli. David commit l'adultère et l'homicide : il vit, dit l'Écriture, une belle femme qui se baignait et il l'aima; ensuite il mit à exécution son dessein. Le prophète était tombé dans l'adultère, la perle dans la boue; et pourtant il ne reconnaissait pas encore qu'il avait péché, tant il était endormi par l'ivresse de la passion. Lorsque le cocher est ivre, le char se précipite tout de travers ; or l'âme et le corps sont entre eux comme le cocher et le char; si l'âme est dans les ténèbres, le corps roule dans la fange. Tant que le cocher reste debout et ferme, le char fait bonne route : que le cocher vienne à (281) faiblir et à ne pouvoir plus tenir les guides, dès lors le char aussi se voit en danger. Ainsi en est-il de l'homme, tant que l'âme est sobre et vigilante, le corps reste pur; dès que l'âme s'obscurcit, le corps se vautre dans la boue, dans la volupté. Mais revenons à David. Il avait commis un adultère, il ne le connaissait pas: il n'était incriminé par personne, et cela aux dernières limites de sa vieillesse! Apprenez que si vous êtes négligent, vos cheveux blancs ne vous serviront de rien, et, qu'au contraire, si vous êtes vigilant, votre jeunesse ne pourra pas vous nuire. Ce n'est pas l'âge qui fait les moeurs, c'est la droiture de la volonté : Daniel n'avait que douze ans et il fut pris pour juge ; les vieillards comptaient des jours nombreux et ils inventèrent la fable de l'adultère (Dan. XIII, 45 et suiv.) ; aux uns la vieillesse ne servit de rien, à l'autre la jeunesse ne nuisit en rien. Et pour comprendre que ce n'est pas l'âge, mais la disposition de la volonté qui nous fait juger des actions vraiment sages, voyez David! il est arrivé à un âge avancé, et c'est avec des cheveux blancs qu'il tombe en adultère, qu'il commet un homicide, qu'il se laisse prendre par la passion, au point de ne pas se douter lui-même qu'il pèche ; son guide, sa conscience est enivrée d'incontinence.

Dieu lui envoie Nathan, le prophète vient au prophète; c'est ainsi qu'on agit à l'égard du médecin : quand l'un d'entre eux est malade, alors il a besoin d'un autre. Voilà ce qui arrive ici; un prophète avait péché, un prophète se trouva pour apporter le remède. Nathan vient donc à lui, mais il ne commence pas, dès le seuil de la porte, à le gourmander et à lui dire : Scélérat, maudit, fornicateur, assassin quoi ! Dieu t'a comblé de tant d'honneurs et tu violes ses commandements? Il ne dit rien de pareil afin de ne pas le rendre plus obstiné encore dans son crime ; les fautes dénoncées en public ne font que provoquer le pécheur à l'impudence. Il vient donc à lui, et il lui arrange habilement la parabole d'un procès; que dit-il? O roi! j'ai à plaider devant vous. Un homme était riche, un mitre était pauvre ; le riche possédait de nombreux troupeaux de boeufs et de moutons, le pauvre n'avait qu'une seule brebis qui buvait dans sa coupe, qui mangeait à sa table, qui dormait sur son sein. Ici le prophète désignait l'amour du mari pour son épouse. Un étranger lui étant venu , le riche ne touche pas à ses troupeaux, il prend la brebis du pauvre et l'égorge. (II Rois. XII, 1-15.) Voyez comment le prophète dispose le tissu de son récit, comment il tient le fer caché sous l'éponge? Que fait le roi? S'imaginant avoir à juger l'affaire d'autrui , il porte sur-le-champ sa sentence; voilà comment les hommes ont coutume d'en user, ils portent et prononcent volontiers et sévèrement leur jugement contre les autres. Vive le Seigneur! dit David, ce riche mérite la mort, et il paiera la brebis au quadruple. Que répond Nathan ? Il ne caresse pas longtemps la plaie, il la découvre de suite, il en fait rapidement la section afin de ne pas laisser perdre la sensation de la douleur. C'est vous, ô roi! Et que dit le roi? J'ai péché contre le Seigneur. Il ne dit pas: Qui es-tu pour me reprendre de cette sorte? qui t'a donné mission pour me parler avec cette liberté? quelle audace te pousse à agir ainsi ? Il ne dit rien de pareil, mais il reconnaît son péché en ces termes: J'ai péché contre le Seigneur. Que lui répond Nathan? Et le Seigneur a remis ton péché. Tu t'es condamné toi-même, moi, je te fais grâce de la peine; en confessant ton péché franchement tu en as rompu la chaîne, tu as appelé toi-même le châtiment, moi je décline ma sentence. Voyez-vous comment s'accomplit le mot de l'Ecriture : Dis toi-même le premier tes péchés, afin que tu sois justifié ? (Isaïe, XLIII, 26.) Et quelle difficulté y a-t-il à déclarer soi-même le péché ?

3. Vous avez encore une autre voie de pénitence : laquelle donc? C'est de pleurer votre péché. Avez-vous péché ? Versez des larmes et vous rompez votre chaîne. Mais en quoi consiste ce labeur? Je ne vous demande pas que vous parcouriez les mers, ou que vous débarquiez en quelque port éloigné, ni que vous vous mettiez en course, ni que vous accomplissiez de lointaines pérégrinations, ni que vous exposiez vos biens, ni que vous subissiez L'épreuve des flots irrités ; que demandé-je donc? que vous pleuriez sur les fautes que vous avez commises ! — Mais, dites-vous, comment se fait-il que par mes larmes je me délivre du péché? — Vous en trouvez la preuve dans la divine Ecriture. Il était un roi nommé Achab, duquel il est attesté qu'il était juste ; mais, sous l’influence de sa femme Jézabel, il régna pour le mal. Ce roi eut fantaisie de posséder la vigne d'un Jezraélitain, Naboth ; il lui dépêcha un messager pour lui dire : (282) Donne-moi ta vigne que je convoite; et, en échange, accepte de moi ou de l'argent ou un autre terrain. Naboth répondit : Dieu me préserve de te vendre l'héritage de mes pères ! Achab avait envie de la vigne, mais il ne voulait pas violenter l'homme, de telle sorte qu'il tomba malade de cette contrariété. Jézabel entra près de lui : cette espèce de femme impudente et emportée, chargée de souillures et de malédictions, lui dit : Pourquoi te chagriner, pourquoi refuser les aliments? Lève-toi et mange : je ferai en sorte que tu aies la vigne de Naboth le Jezraélitain. Et sur-le-champ elle écrivit aux anciens, sous le couvert du roi, une lettre conçue en ces termes : Publiez un jeûne et trouvez contre Naboth de faux témoins qui déclarent qu'il a béni Dieu et le roi, c'est-à-dire qu'il a blasphémé. O jeûne plein d'une suprême iniquité ! Ils le publièrent afin d'accomplir un meurtre. Qu'arriva-t-il? Naboth fut lapidé et mourut. Dès qu'elle en eut connaissance, Jézabel dit à Achab : Debout ! et prenons possession de la vigne : Naboth est mort. Achab eut un moment de regret; mais pourtant il entra dans la vigne et s'en empara. Dieu lui députa le prophète Elie : Marche, dit-il, et déclare à Achab : puisque tu as tué et usurpé, ton sang aussi sera versé, les chiens lécheront ton sang, les prostituées se laveront dans ton sang. (III Rois, XXI.) La colère divine frappe, la sentence est portée, la condamnation s'accomplit. Où Dieu envoie-t-il le prophète ? Voyez : c'est dans la vigne même; là où fut le péché, là est le châtiment. Que dit-il? Achab l'aperçoit et s'écrie : Toi, mon ennemi, tu as bien su me trouver! comme s'il disait : tu m'as surpris en faute, car j'ai péché aujourd'hui, tu as bonne occasion de m'écraser ! Toi mon ennemi, tu as bien su me trouver ! En effet Elie ne cessait de reprendre Achab ; et celui-ci, ayant conscience de sa culpabilité, disait : Tu me réprimandais sans cesse; mais en ce moment c'est à juste titre que tu me foules aux pieds. Il savait bien qu'il avait péché. Elie lui dénonce en face la sentence divine. Puisque tu as tué et usurpé, puisque tu as versé le sang du juste, ton propre sang sera aussi versé; les chiens s'en abreuveront et les prostituées s'en laveront. A ces paroles, Achab est saisi de douleur, il gémit sur son péché, il reconnaît son iniquité et Dieu retire le jugement porté contre lui; mais auparavant Dieu s'en explique à Elie, de peur que ce prophète ne soit regardé comme menteur et ne se conduise comme Jonas.

La même chose en effet arriva à Jonas. Dieu lui dit : va, prêche dans la cité de Ninive, où habitent cent vingt mille hommes sans compter les femmes et les enfants : encore trois jours et Ninive sera détruite. (Jonas, I, 2.) Jonas, qui connaissait bien la miséricorde de Dieu, ne voulait pas y aller. Que fit- il? Il s'enfuit; il se disait J'irai prêcher; mais vous, qui êtes si bon pour les hommes, vous changerez votre sentence, et moi je serai mis à mort comme faux prophète. La mer, après l'avoir reçu, ne l'ensevelit pas; elle le rendit à la terre; elle le conserva sain et sauf pour Ninive ; en bon serviteur, l'océan garda cet autre serviteur de Dieu. Jonas, dit l'Ecriture, descendit à la côte pour s'enfuir; trouvant un navire en partance pour Tharsis, il paya son nolis et s'y embarqua. (Jon. I, 2.) Où fuis-tu, Jonas? Pars-tu pour une autre terre ? Mais la terre dans toute sa plénitude appartient au Seigneur ! Vas-tu sur les flots ? Mais ignores-tu que la mer est à lui; c'est lui qui l'a faite ! — Vas-tu dans les cieux? mais n'as-tu pas entendu David qui chantait : Je verrai les cieux qui sont l'oeuvre de vos doigts ? (Ps. VIII, 4.) Poussé par la frayeur , Jonas croyait fuir : en réalité nul ne peut fuir Dieu. Dès que les flots l'eurent rendu, dès qu'il fut arrivé à Ninive, il se mit, à prêcher et à dire : Encore trois jours et Ninive sera détruite. Mais, qu'il se soit mis en fuite dans cette idée que Dieu, si doux aux hommes, reviendrait sur les menaces terribles qu'il leur faisait annoncer, et que le prophète passerait pour imposteur, comprenez-le par les indications que celui-ci fournit lui-même. En effet, après avoir prêché dans Ninive, il sortit de la ville et se mit à observer ce qui allait arriver. Quand il vit que les trois jours étaient passés et qu'aucune des malédictions annoncées ne s'était réalisée, alors il se remit en mémoire sa première pensée et il dit : Ne sont-ce pas les paroles que j'ai dites, que Dieu est miséricordieux, qu'il est patient, qu'il change d'avis sur les maux qu'il veut infliger aux hommes? (Jon. IV, 2.) Pour éviter qu'il n'arrivât à Elie la même chose qu'à Jonas, Dieu lui exposa le motif pour lequel il fit grâce à Achab. Que lui dit-il? As-tu vu comme Achab est venu à moi triste et gémissant ? Est-ce que j'agirai méchamment comme lui ? (III Rois, XXI, 29.) Ah ! voilà le maître qui (283) se fait l'avocat de son serviteur; voilà Dieu qui fait l'apologie d'un homme devant un autre homme ! Ne t'imagine pas, dit-il, que je l'épargne sans raisons : il a changé ses moeurs, j'ai changé, j'ai tempéré ma colère. Qu'on ne te regarde pas comme faux prophète, car tu as dit la vérité . s'il n'eût changé ses moeurs, il eût souffert les maux dont ma sentence le menaçait; mais, parce qu'il s'est converti, moi aussi j'ai laissé tomber ma colère. Et Dieu dit à Elie : As-tu vu comme Achab est venu à moi triste et gémissant? Je n'agirai pas selon ma colère. — Et vous, voyez-vous comment les larmes délivrent du péché ?

4. Vous avez encore une troisième voie de pénitence. Si je vous montre ces voies si nombreuses, c'est afin que leur diversité vous rende le salut facile. Quelle est donc cette troisième voie? C'est l'humilité : soyez humble et vous rompez la chaîne de votre péché. Ici encore vous trouvez la preuve dans l'Ecriture, dans la leçon que nous donnent le publicain et le pharisien. (Luc, XVIII, 10.) Le pharisien et le publicain, dit l'Evangile, montèrent au temple pour prier; le pharisien commença par énumérer ses vertus : moi, dit-il, je ne suis pas pécheur comme tout le monde ni comme ce publicain. Pauvre homme ! misérable coeur ! Tu as condamné tout l'univers en bloc, pourquoi écraser aussi ton voisin ? N'était-ce pas assez d'attaquer tout le monde, sans condamner encore ce publicain? De la sorte tu infliges le blâme à tous les hommes et tu ne fais pas grâce à un seul : Je ne suis pas comme le reste des hommes, ni comme ce publicain : je jeûne deux fois la semaine, je donne aux pauvres la dîme de ce que je possède. Voilà le langage de l'arrogance. Malheureux, tu prononces le jugement du genre humain, soit ! Mais pourquoi incriminer jusqu'à ton voisin, jusqu'à ce publicain? Ne serais-tu pas satisfait d'avoir accusé l'univers, si tu n'accusais encore ton compagnon? — Mais que fait le publicain? Après avoir entendu tout cela, il ne dit pas : Et toi, qui donc es-tu pour me dire de pareilles choses? Comment connais-tu ma vie? Tu n'as ni conversé avec moi, ni habité avec moi, ni passé ton temps avec moi. Pourquoi t'enorgueillir si fort? Qui donc rend témoignage de tes bonnes oeuvres? Pourquoi te louer toi-même? Pourquoi te flatter toi-même? Le publicain ne dit rien de semblable; mais, courbant la tête, il adora le Seigneur et s'écria : Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis pécheur ! Le publicain s'humilie et il est justifié. Le pharisien descendit du temple après y avoir perdu la justice, et le publicain après l'y avoir acquise . les paroles de l'un eurent plus de mérite que les actes de l'autre. Celui-là perdit la justice avec ses oeuvres ; celui-ci obtint la justice par une parole d'humilité. Et encore n'était-ce point proprement l'humilité, laquelle consiste en ce que celui qui est grand s'abaisse lui-même. Le fait du publicain n'était pas humilité, mais vérité : ses paroles étaient vraies, puisqu'il était pécheur.

5. Qu'y a-t-il en effet de pire qu'un publicain? Il exploite les calamités d'autrui, il tire profit des peines d'autrui ; il ne daigne pas voir le malheur pourvu qu'il en tire une part de bénéfice. L'iniquité du publicain atteint le comble. Le publicain n'est rien autre que la violence qui se met à l'aise, l'iniquité légalisée, la rapine sous un masque honnête. Quoi de pire que le publicain établi sur la grande route ? Il moissonne les fruits du travail d'autrui; quand il s'agit de peine, il ne se donne nul souci; mais quand arrive le gain, il prend sa part dans ce qu'il n'a pas gagné. Donc, si le publicain, qui était un pécheur de ce genre, a obtenu un tel pardon en faisant preuve d'humilité, combien plus le méritera l'homme vertueux et humble! Si vous confessez vos péchés et si vous pratiquez l'humilité, vous êtes justifié. Voulez-vous savoir ce qu'est l'homme humble? Regardez saint Paul qui le fut vraiment, saint Paul, le docteur de toute la terre, l'orateur des âmes, le vase d'élection, le port du salut, la forteresse inexpugnable, saint Paul qui, avec sa petite taille, embrassait le monde entier et le parcourait en tous sens comme un aigle : voyez-le qui s'abaisse, ce sage qui se fait ignorant, ce riche qui se fait pauvre. Je l'appelle vraiment humble celui qui a épuisé le cours de travaux innombrables, qui a remporté sur le diable des milliers de trophées, qui a prêché et dit : La grâce n'a pas été stérile en moi, mais j'ai travaillé plus que tous (I Cor. XV, 10) ; qui a subi les prisons, les blessures et les coups, qui a pris le monde dans ses épîtres comme dans un divin filet; celui qui fut appelé par une voix céleste, il était humble quand il disait : Moi, je suis le dernier des apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre. (I Cor. XV, 9.) Quelle grandeur d'humilité ! Saint Paul a de lui-même si basse opinion (284) qu'il se range le dernier! Je suis le dernier des apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre. C'est la vraie humilité que de se mettre au-dessous de tous et de se proclamer le dernier. Songez à ce qu'était celui qui proférait de telles paroles : Paul, l'habitant des cieux revêtu d'un corps, la colonne de l'Eglise, l'ange terrestre, l'homme angélique! Je m'arrête avec joie en face de cet homme toutes fois, que j'aperçois l'éclatante beauté de sa vertu le soleil à son lever, lançant ses splendides rayons, ne réjouit pas mes yeux comme l'aspect de saint Paul illumine mon âme. Le soleil sans doute éclaire notre visage, saint Paul nous enlève jusqu'aux voûtes mêmes du ciel; il rend notre âme plus sublime que le soleil, plus haute que la lune tant est grande la puissance de la vertu ! d'un homme elle fait un ange, elle porte l'âme comme sur des ailes jusqu'aux cieux. Cette vertu, Paul nous l'a enseignée; efforçons-nous d'en devenir les courageux imitateurs. Mais il ne faut pas sortir de notre sujet; mon but était de vous montrer que l'humilité est la troisième voie de pénitence, que le publicain ne fit pas précisément acte d'humilité, mais qu'il dit la vérité en mettant ses péchés à nu, et qu'il se justifia, non pas en déboursant de l'argent, non pas en parcourant la mer en tous sens, non pas en faisant une longue route à pied, non pas en se montrant généreux pour ses amis, non pas en dépensant un temps considérable, ruais en pratiquant l'humilité; par là il obtint la justification, il fut jugé digne du royaume des cieux, duquel puissions-nous tous devenir participants, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et force appartiennent dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

TROISIÈME HOMÉLIE. De l'aumône et des vierges.

ANALYSE.

1° Résumé du sermon précédent : on y a vu trois voies de pénitence , ce discours va en montrer une quatrième : l'aumône. — 2° Explication de la parabole des dix vierges. — Sans l'huile de la charité la virginité ne peut ouvrir le ciel. — 3° Puissance (le l'aumône, elie protégera au jour du jugement ceux qui l'auront pratiquée. — Continuation de la parabole des dix vierges. — Difficulté de la virginité inconnue des anciens, et qui n'a paru sur la terre que depuis que la fleur de la virginité a fleuri. — 4° Récapitulation, exhortation.

1. Savez-vous le point de départ de notre dernier discours et sa conclusion; savez-vous de quel sujet à quel autre les paroles de la précédente homélie ont passé? Je crois que vous l'avez oublié; et je ne vous en accuse ni ne vous en blâme : moi, je m'en souviens. Chacun de vous a femme et enfants, chacun de vous a le souci de, foutes les affaires domestiques; les uns sont occupés à l'armée, les autres sont artisans, tous sont absorbés par (285) des emplois divers. Mais nous, c'est à la parole divine que nous donnons nos soins, à elle que nous pensons, à elle que nous consacrons notre temps. Aussi, n'êtes-vous pas à censurer, mais plutôt à louer pour votre zèle, car vous ne nous avez pas abandonné un seul dimanche; laissant tout de côté, vous accourez à l'église en ce jour. La plus belle gloire de notre cité ne consiste pas à avoir des marchés et des faubourgs, des palais dorés et des salles de festin, mais à avoir une population zélée et active. L'arbre généreux se connaît non pas aux feuilles, mais aux fruits. Nous l'emportons sur les animaux irraisonnables précisément parce que nous avons la parole, que nous communiquons par la parole, que nous aimons la parole. L'homme qui n'aime pas la parole a moins de sens que les bêtes de somme, puisqu'il ne sait pas pourquoi il est honoré, pourquoi il mérite de l'être. Le Prophète a sagement dit : L'homme qui était élevé en honneur, n'a pas compris; il a été comparé aux animaux, il est devenu semblable à eux. (Psal. XLVIII, 13.) O homme, toi qui possèdes le privilège de la parole., tu n'aimes pas la parole ! Quelle sera, dis-moi, ton excuse?Aussi, m'êtes-vous plus intimement chers que tout au monde, vous qui accourez à la parole de la vertu, vous qui mettez au-dessus de toutes vos affections la parole divine ! — Mais allons, entreprenons notre sujet, développons la suite de ce que nous avons récemment expliqué : je suis votre débiteur et je paie une dette avec joie; ce payement, loin de m'apporter l'indigence, augmente ma richesse. Dans les affaires temporelles, le débiteur fuit son créancier pour éviter de payer; moi au contraire, je vous poursuis pour vous payer et je fais bien. : dans les affaires temporelles, s'acquitter c'est s'appauvrir, tandis que dans la dispensation de la parole, s'acquitter c'est s'enrichir. Je cite un exemple: je dois une somme à un créancier; si je la verse en payement, elle ne peut être en même temps entre ses mains et entre les miennes; elle me quitte pour lui appartenir; si au contraire je répands la parole de Dieu, elle me reste et elle devient le partage de tous ; si je la retiens, si je ne la communique pas, c'est alors que je suis pauvre; mais si j'en fais largesse, c'est alors que je m'enrichis. Quand je ne distribue pas la parole, je suis seul riche; quand je la communique, j'en retire avec vous tous le profit.

Eh bien ! payons donc notre dette ! mais quelle est-elle? Nous entreprenions dernièrement un sermon sur la pénitence et nous disions que les voies en sont nombreuses et variées pour nous rendre le salut facile. Si Dieu ne nous eût donné qu'une seule voie de pénitence nous l'eussions refusée en disant : Nous ne pouvons pas la suivre, nous ne pouvons pas nous sauver ! Mais voici que nous coupons cette objection par le pied ! Ce n'est pas une voie de pénitence que Dieu vous donne, ni deux, ni trois; c'en est une foule et très-diverse, afin que leur multitude vous rende aisée votre ascension vers le ciel. Nous disions que la pénitence est facile, qu'elle n'impose pas un lourd fardeau. Etes-vous pécheur? Entrez à l'église et dites : j'ai péché, votre péché est remis. Nous avons apporté l'exemple de David, qui, après avoir commis un péché, en brisa ainsi le lien. Puis, nous avons établi la deuxième voie de pénitence : pleurer sur le péché; nous avons dit : quelle grande difficulté y a-t-il en cela? Il ne s'agit ni de débourser de grandes sommes, ni de faire à pied une longue route, ni d'accomplir rien de pareil, mais seulement de pleurer sur le péché commis; nous avons déduit cette conclusion de l'Écriture qui nous nous montre Dieu changeant ses desseins sur Achab, parce que celui-ci pleura et gémit ; le Seigneur lui-même s'en expliqua à Elie : As-tu vu comment Achab est venu à moi dans les pleurs et les gémissements? Je n'agirai pas selon ma colère. (III Rois. XXI, 29.) Enfin nous avons touché la troisième voie de pénitence, nous avons cité, d'après l'Écriture, le pharisien et le publicain : le pharisien, vaniteusement fanfaron, perd la justification; le publicain, rempli d'humbles sentiments, en recueille au contraire tous les fruits, et, sans accomplir aucune oeuvre laborieuse, il se justifie : il donne des paroles, il gagne des réalités. Maintenant, poursuivons la suite de notre sujet, ouvrons la quatrième voie de pénitence. Quelle est-elle? C'est l'aumône, cette reine des vertus, cette excellente patronne, qui élève rapidement les hommes jusqu'aux voûtes des cieux. C'est une grande chose que l'aumône; aussi Salomon criait-il : Grand est l'homme, vénérable est l'homme miséricordieux! (Prov. XX, 6.) L'aumône a des ailes puissantes : elle fend l'air, dépasse la lune, s'élance plus loin que les rayons du soleil, pénètre jusqu'aux sommets du ciel. Elle ne s'arrête pas encore là; elle franchit les cieux eux-mêmes, elle laisse en arrière (286) les troupes angéliques, les choeurs des archanges et toutes les puissances supérieures; elle se présente au trône même du Roi éternel. Voilà ce que vous apprend l'Écriture, quand elle dit : Corneille, tes aumônes sont montées en la présence de Dieu. (Act. X, 4.) Ce mot en la. présence de Dieu signifie ceci : lors même que tu aurais des péchés en foule, ne crains rien si tu as l'aumône pour avocate. Aucune des puissances d'en-haut ne lui résiste; elle réclame la dette, tenant en main son droit écrit : c'est la parole du Maître en personne : Celui qui a fait du bien au plus humble de ceux-ci, c'est à moi-même qu'il l'a fait. (Matt. XXV, 40.) Ainsi donc, votre aumône aura plus de poids que tous vos péchés ensemble, quelque nombreux qu'ils soient.

2. N'avez-vous pas compris dans 1'Evangile la parabole des dix vierges ? elles gardèrent la virginité; mais, comme elles n'avaient pas l'aumône, elles furent exclues des noces de l'Époux. Il était dix vierges, cinq folles et cinq sages. (Matt. XXV, 2.) Les sages avaient une provision d'huile; les folles n'en avaient pas et laissaient leurs lampes s'éteindre. Les folles allèrent trouver les sages et leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. J'ai honte et confusion, je pleure d'entendre une vierge appelée folle ; je rougis quand ces mots accouplés frappent mon oreille ! Après avoir pratiqué une vertu si belle, après avoir tant combattu pour la conservation de la virginité, après avoir élevé leur corps à une céleste sublimité, après avoir rivalisé avec les esprits angéliques, après avoir surmonté la fièvre ardente, la flamme de la volupté, elles sont appelées folles et folles à bon droit; puisque, après avoir accompli la grande oeuvre, elles échouent dans un détail. Et les folles s'approchant des sages, leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. Celles-ci répondirent : Nous ne pouvons vous en donner, de peur qu'il n'y en ait point assez pour nous et pour vous. (Matt. XXV, 8.) Ce n'était ni la dureté de coeur, ni la méchanceté qui les faisait agir de la sorte, mais l'embarras du moment l'Époux était sur le point d'arriver. Elles avaient toutes leurs lampes; mais les unes avaient réservé l'huile, et les autres non.

Or, la flamme représente la virginité, et l'huile l'aumône; de même que la flamme s'éteint si elle n'est alimentée par l'huile; ainsi périt la virginité si elle ne se soutient par l'aumône. Donnez-nous de l'huile de vos vases, disent les unes. Nous ne pouvons vous en donner, répondent les autres. Cette parole ne vient pas d'un mauvais sentiment, mais d'une crainte prudente : il n'y en aurait peut-être pas assez pour nous et pour vous; nous avons peur qu'en cherchant toutes à entrer, nous ne soyons toutes laissées dehors; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. Quels sont les marchands de cette huile? Ce sont les pauvres, assis aux portes de l'église pour recevoir l'aumône. Et combien paie-t-on? Ce qu'on veut ! Je ne fixe pas de prix, afin que vous ne fassiez pas objection de votre indigence. Achetez pour ce que vous avez. Avez-vous une obole? Achetez le ciel, non pas que le ciel se vende à vil prix, mais parce que Dieu est doux aux hommes. N'avez-vous pas même une obole? Donnez un verre d'eau : Celui qui donnera à cause de moi un verre d'eau froide à quelqu'un de ces petits, celui-là ne perdra pas sa récompense. (Matth. X, 42.) Le ciel est un négoce, une affaire à traiter : et nous perdons notre temps ! Donnez un morceau de pain et recevez le paradis; donnez peu et recevez beaucoup; donnez ce qui meurt et recevez ce qui est immortel; donnez le corruptible et recevez l'incorruptible. S'il y avait grande foire, amenant ensemble l'abondance et le bas prix des denrées, de telle sorte que tout se vendît presque rien, est-ce que vous ne mettriez pas vos propriétés à l'encan? est-ce que vous ne laisseriez pas tout de côté pour vous rendre maître de ce coup de commerce? Là où ne sont que des biens périssables, vous déployez tant d'énergie; et là où se traite une affaire d'éternité, serez-vous si lâche et si indifférent? — Donnez au pauvre, afin que, si vous êtes vous-même obligé de vous taire, des milliers de voix puissent répondre pour vous, lorsque votre aumône s'élèvera et plaidera votre cause : l'aumône est la rançon de l'âme. Aussi, de même qu'aux portes de l'église sont placés des vases pleins d'eau dans lesquels vous lavez les mains de votre corps, de même à vos portes sont assis les pauvres qui vous offrent à purifier les mains de votre âme. Avez-vous lavé dans l'eau vos mains corporelles? lavez dans l'aumône vos mains spirituelles ! Ne prétextez pas la pauvreté: la veuve donnait à Elie l'hospitalité au sein d'une extrême indigence, et, loin de s'en faire une excuse, elle accueillit le prophète avec une (287) grande joie (III Rois. XVII) ; aussi recueillit-elle une récolte digne de sa vertu, elle moissonna l'épi de son aumône. Mais quelqu'un de mes auditeurs dira peut-être : Amenez-moi aussi un Elie ! — Que parlez-vous d'Elie ? C'est le maître d'Elie que je vous amène, et vous ne le nourrissez pas ! Comment donc recevriez-vous Elie, si vous le rencontriez? Voici la sentence du Christ, du Maître universel : Quiconque fera du bien à l'un de ces petits, c'est â moi qu'il le fera. (Matth. XXV, 40.) Si le roi invitait un homme à sa table et disait à ses serviteurs assemblés : Rendez en mon nom de grandes actions de grâces à cet homme; il m'a nourri et logé sous son toit dans ma détresse; il m'a comblé de nombreux bienfaits dans le temps de mes infortunes, est-ce que chacun ne sacrifierait pas tout son avoir en faveur de cet homme auquel le roi voudrait témoigner sa reconnaissance? est-ce que chacun ne ferait pas son éloge? Est-ce que chacun ne s'empresserait pas de se recommander à lui et de rechercher son amitié?

3. Cette seule parole ferait la gloire et le bonheur de celui en faveur de qui elle serait dite, et ce n'est que la parole d'un homme; essayez d'après cela de vous représenter le Christ en ce grand jour où il fera, en présence de ses anges et de toutes les puissances célestes, l'appel de ses créatures et dira : Celui-ci sur la terre m'a donné l'hospitalité ; celui-ci m'a prodigué mille bienfaits; celui-ci m'a recueilli dans mon exil quand j'étais étranger, imaginez ensuite la sainte confiance du juste au milieu des anges, son bonheur au milieu du peuple céleste ! Celui de qui le Christ rend témoignage, pourrait-il ne pas jouir d'un crédit supérieur à celui des anges mêmes ? L'aumône est donc une grande chose, mes frères ! Embrassons-la comme l'oeuvre sans pareille ! Elle est assez puissante pour effacer tous les péchés et pour écarter de vous le jugement : devant le juge vous vous taisez, et elle se tient à côté de vous et plaide votre cause; bien plus, vous vous taisez, et elle fait retentir ses mille et mille voix qui vous bénissent. Donnez selon la mesure de votre pouvoir, donnez du pain; si vous n'avez pas de pain, donnez une obole; si vous n'avez pas une obole, donnez un verre d'eau seulement; si vous n'avez pas même cela, compatissez aux misères d'autrui, et vous gagnez la récompense. La récompense appartient, non pas à l'action faite par contrainte, mais à la bonne volonté. Tandis que nous discourons sur ce point, la pensée des dix vierges nous échappe : revenons à notre sujet : Donnez-nous de l'huile de vos lampes. — Nous ne pouvons vous en donner, nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. — Les vierges folles étaient parties pour faire leur emplette, l'époux arriva ; les vierges qui avaient leurs lampes allumées entrèrent avec lui et la porte de la chambre nuptiale fut fermée. (Matth. XXV, 10.) Les cinq folles arrivèrent aussi et frappèrent à la porte en criant : ouvrez-nous; mais l'époux leur répondit de l'intérieur : retirez-vous : je ne vous connais pas! Après tant de peine qu'elles avaient prise, qu'entendirent-elles ? Je ne vous connais pas, c'est-à-dire, comme je l'ai énoncé plus haut, qu'elles possédèrent vainement et inutilement le riche trésor de la virginité.

Examinez après quels travaux accomplis elles se virent exclues ! C'est après avoir réfréné l'incontinence, après avoir lutté d'émulation avec les vertus d'en-haut, après avoir dédaigné les choses de ce monde, après avoir enduré de terribles feux, après avoir franchi mille obstacles, après avoir pris leur essor de la terre vers le ciel, après avoir conservé intact le sceau de leur corps, après avoir acquis le grand honneur de la chasteté , après avoir rivalisé avec les anges, après avoir foulé aux pieds les nécessités corporelles, après avoir mis la nature en oubli, après avoir accompli dans leur corps matériel ce qui fait le privilège des esprits immatériels, après avoir conquis la possession inexpugnable de cette belle virginité, après tout cela, elles entendirent : Eloignez-vous de moi ; je ne vous connais pas. Et n'allez pas vous imaginer que ce soit une petite grandeur que celle de la virginité ! La virginité est telle que pas un des anciens n'a pu la conserver. Nous devons à une grâce exceptionnelle que les choses qui furent si redoutables aux prophètes et aux anciens justes sont devenues maintenant aisées et faciles. Quelles étaient ces choses si lourdes et si dures ? La virginité et le mépris de la mort: mais aujourd'hui de simples jeunes filles mêmes ne s'en font nulle frayeur. La possession de la virginité était autrefois tellement difficile que personne parmi les anciens n'eut la force de s'y exercer. Noë fut juste et sa vertu fut attestée de Dieu; mais il eut (288) commerce avec une femme. Abraham et Isaac furent aussi, comme lui, les héritiers de la promesse; mais ils eurent commerce avec une femme. Joseph le chaste refusa énergiquement de commettre le crime de l'adultère; mais il eut, lui aussi, commerce avec une femme. C'est qu'alors la profession de virginité était une lourde charge : la virginité n'est devenue robuste que depuis que la fleur de la virginité a germé. Aucun des anciens n'a donc pu la pratiquer, parce que c'est une grande affaire que de dompter le corps. Tracez-moi le portrait de la virginité et vous apprendrez la grandeur de cette vertu : elle a encore à soutenir chaque jour et de tous côtés une guerre qui ne peut lui laisser repos ni trêve, une guerre pire que celle des barbares. Les barbares en effet gardent des instants de relâche par suite des traités tantôt ils se lancent au combat et tantôt ils s'arrêtent; ils observent un certain ordre, ils respectent certains temps ; mais la guerre contre la virginité n'a jamais de suspension d'armes. Celui qui pousse cette guerre est le démon qui ne sait pas épier patiemment l'occasion d'entrer en campagne, qui n'attend pas de renforts pour engager la lutte; il est toujours debout cherchant à surprendre la vierge au dépourvu pour la frapper d'un coup mortel: la vierge ne peut jamais cesser la bataille, elle porte partout avec elle le combat et l'ennemi. Les condamnés eux-mêmes, après avoir comparu sous les yeux du juge au temps nécessaire, ne sont pas tourmentés de cette sorte ; mais la vierge, en quelque lieu qu'elle aille, conduit avec elle son juge et traîne son adversaire qui ne lui donne de repos ni le soir ni la nuit, ni à l'aurore ni en plein jour, qui l'attaque partout, en lui suggérant des images voluptueuses, en lui mettant le mariage en tête afin de chasser de son coeur la vertu et d'y faire naître le péché, afin d'en arracher la continence et d'y semer l'impureté. A chaque heure il met le feu à ce foyer de la volupté qui brûle si agréablement. Imaginez donc quel est le labeur de cette entreprise ! Et pourtant, malgré tout cela, les vierges folles entendirent cette parole : Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas!

Voyez combien c'est une grande chose que la virginité : quand elle a l'aumône pour soeur, aucun obstacle ne lui résiste, elle est supérieure à tout. C'est pourquoi, si les cinq folles n'entrèrent point en la chambre nuptiale, c'est qu'elles n'eurent pas l'aumône avec la virginité. Quelle honte ! Elles ont vaincu la volupté et n'ont pas méprisé l'argent; vierges, elles ont renoncé à la vie, et crucifiées, elles ont aimé les biens de la vie. Plût à Dieu que vous eussiez souhaité un mari ! votre faute eût été moindre; vos désirs eussent eu pour objet ce qui est de même nature que vous, tandis que présentement votre culpabilité est plus grave, parce que vous avez désiré ce qui est d'une nature étrangère. Que celles qui se trouvent soumises à un mari se montrent inhumaines et dures, soit; elles ont leurs enfants pour prétexte. Si vous dites à l'une d'elles donne-moi l'aumône, elle répond : j'ai des enfants : je ne peux pas. Si Dieu t'a donné des enfants, s'il t'a fait recueillir le fruit de tes entrailles, ce fut pour te rendre humaine et charitable, et non pas dure et impitoyable : ne change donc pas une cause de douceur en motif de dureté. Veux-tu laisser à tes enfants un bel héritage ? Laisse-leur l'aumône, afin que tous célèbrent ta louange, afin que tu lègues un souvenir illustre. — Mais toi qui n'as pas d'enfants, toi qui es crucifiée à cette vie, pourquoi amasses-tu les biens de cette vie ?

4. Notre discours s'est animé ut sur le sujet de la pénitence, et sur celui de l'aumône. Nous avons dit que l'aumône est une magnifique possession; puis la question de la virginité, vaste comme l'Océan, s'est ouverte à nous. Vous avez donc pour première et grande voie de pénitence l'aumône, assez puissante pour rompre la chaîne de vos péchés; vous en avez une autre par laquelle vous pourrez vous affranchir du péché. Priez à chaque instant; mais priez sans défaillir, implorez la clémence divine sans lâcheté : Dieu ne résistera pas à votre persévérance, il vous fera remise de vos fautes, il vous accordera ce que vous demanderez. Si vous êtes exaucé pendant que vous priez, persistez dans la prière pour rendre grâces ; si vous n'êtes pas exaucé, persistez encore pour obtenir de l'être. Ne dites pas : J'ai beaucoup prié et je n'ai pas été exaucé : c'est souvent pour votre propre utilité qu'il en arrive ainsi. Dieu sait que vous êtes paresseux et facile au découragement et que, vu besoins une fois satisfaits, vous vous retirez et cessez votre prière : il vous ajourne, il fait de vos besoins un moyen de vous obliger à vous adresser à lui plus assidûment et à le prier, avec ferveur. En effet si, pressé par la nécessité, et l'indigence, vous êtes lâche, vous n'avez (289) aucune application à la prière, que seriez-vous si vous n'aviez besoin de rien? C'est donc pour votre avantage que Dieu agit de la sorte il veut que vous ne laissiez pas la prière de côté. Persévérez donc, ne faiblissez pas : la prière peut obtenir beaucoup, mes amis; mais ne l'entreprenez pas comme une affaire de petite importance. Que la prière remette les péchés, apprenez-le des divins Evangiles eux-mêmes. Que disent-ils? Le royaume des cieux ressemble à un homme qui vient de fermer sa porte et d'aller à son repos avec ses serviteurs, lorsque arrive, à la nuit, un voisin qui réclame du pain et qui heurte en disant : Ouvre-moi; j'ai besoin de pain. Il lui répond : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. L'autre continuant de heurter à la porte, il lui dit une seconde fois : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. Le voisin, même après avoir entendu ce refus, resta à la porte heurtant toujours; il ne s'en alla pas que le maître de la maison n'eût dit : Levez-vous, donnez-lui ce qu'il demande et laissez-le partir. (Luc, XI, 5.) L'Evangile nous enseigne donc qu'il faut prier toujours; ne vous rebutez jamais, et, si vous ne recevez pas ce que vous sollicitez, persévérez jusqu'à ce que vous le receviez. Vous trouverez dans les Ecritures plusieurs autres voies de pénitence. La pénitence fut, dès avant la venue du Christ, prêchée par son prophète Jérémie qui a dit : Celui qui est tombé ne se relève-t-il pas? Celui qui s'est égaré ne revient-il pas au chemin ? (Jérém. VIII, 4.) Et ailleurs : Ensuite je lui ai dit : après avoir commis la fornication, reviens encore à moi. (Id. III, 7.) Ainsi Dieu nous a donné nombreuses et diverses les voies de pénitence afin de couper à la racine tout prétexte de lâcheté . si nous rien avions qu'une seule, nous ne pourrions pas y passer. Le diable fuit toujours devant la pointe acérée de la pénitence : avez-vous péché? entrez à l'église et effacez-y votre péché. Autant de fois vous tombez à terre, autant de fois vous vous relevez : de même autant de fois que vous aurez péché, autant de fois repentez-vous de votre péché et ne perdez pas courage ; si vous péchez encore une fois, encore une fois repentez-vous et ne laissez pas échapper finalement par votre lâcheté l'espérance des biens futurs. Lors même que vous auriez péché sous les cheveux blancs de l'extrême vieillesse, entrez à l'église; faites-y pénitence : là réside le médecin qui guérit et non pas le juge qui condamne; là on n'exige pas le châtiment du péché, mais en octroie la rémission. Dites votre péché à Dieu seul : J'ai péché contre vous seul, j'ai fait le mal en votre présence (Ps. L, 6), et votre péché vous sera remis. Vous avez encore une autre voie de pénitence, non pas la voie difficile, mais la voie facile entre toutes. Et laquelle ? Pleurez sur votre péché. Voici ce que nous enseignent les divins Evangiles. Pierre, le coryphée des apôtres, le premier dans l'Eglise, l'ami du Christ, celui qui a reçu la révélation non pas des hommes, mais de Dieu, selon le témoignage rendu par le Seigneur : Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui t'ont révélé mes mystères; mais c'est mon Père qui est dans les cieux (Matth. XVI, 17); ce Pierre que j'appelle ainsi parce que j'entends désigner le roc indestructible, la base inébranlable, le grand apôtre, le premier d'entre les disciples, le premier appelé et le premier obéissant, ce Pierre a commis une faute, non pas une faute légère, mais la plus grave que possible, en reniant le Seigneur : je le dis, non pas pour incriminer le juste, mais pour donner un modèle de pénitence ; il a renié le Maître même de l'univers, le Protecteur et le Sauveur de toute créature. Mais, pour prendre ce sujet de plus haut, rappelons qu'un jour le Sauveur, voyant quelques disciples abandonner son enseignement, dit à Pierre : Et toi, ne veux-tu pas te retirer aussi ? Mais Pierre lui répondit : Quand même il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas (Matt. XXVI, 35.) Que dis-tu, Pierre ? C'est Dieu qui te dénonce et tu résistes ! Sans doute la bonne volonté de Pierre s'est montrée, mais la faiblesse de la nature s'est trahie et quand cela? Dans la nuit où le Christ fut livré : en ce moment donc, dit l'Evangile, Pierre se tenait auprès du foyer et se chauffait, lorsqu'une jeune fille s'approcha et lui dit : Hier, tu étais, toi aussi, avec cet homme. (Matth. XXV1, 69.) Et il répondit: Je ne connais pas cet homme (Marc, XIV, 68); et ainsi une deuxième, puis une troisième fois; et la dénonciation fut vérifiée. Alors le Christ regarda Pierre, lui parla le langage des yeux : il évita de lui parler des lèvres afin de ne pas accuser en face des Juifs et de ne pas couvrir de honte son propre disciple, mais il lui parla le langage des yeux comme pour lui dire : Pierre, ce que j'ai annoncé est arrivé. Pierre comprit et il se (290) prit à pleurer; il pleura, il versa non pas (les larmes telles quelles, mais des lamies amères, faisant de ces larmes l'eau d'un second baptême; et par ces larmes amères il se purifia de son péché, de telle sorte qu'ensuite il reçut en garde les clefs du ciel. Et si les larmes de Pierre ont effacé un péché si énorme, comment se pourrait-il que vous n'obtinssiez pas remise du vôtre, si vous pleurez de même? Ce ne fut pas une faute légère que de renier le Seigneur, ce fut un crime considérable, terrible : et pourtant les larmes l'ont effacé. Pleurez donc, vous aussi, sur vos péchés; pleurez, non pas des larmes telles quelles , ni des larmes feintes , mais des larmes amères comme celles de Pierre faites jaillir des profondeurs de votre âme la source des vraies larmes, afin que Dieu, ému de miséricorde, vous remette votre péché : il est doux à l'homme et il a dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu'il se convertisse, qu'il fasse pénitence et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 23.) Il n'exige de vous qu'une petite peine et il vous offre un grand présent; il cherche que vous lui fournissiez l'occasion de vous ouvrir le trésor du salut. Apportez vos larmes et il vous accordera le pardon; apportez le repentir et il vous accordera la rémission de vos péchés. Fournissez un léger motif et vous gagnerez la plus belle récompense: il y a en effet une mise fournie par Dieu et une mise fournie par l'homme; et si nous apportons la nôtre, Dieu apportera une seconde fois la sienne. Il a déjà fourni sa part, je veux dire qu'il a créé le soleil, la lune, le choeur varié des astres, versé les flots de l'atmosphère, creusé les Océans, déployé les continents, distribué les montagnes, les collines, les forêts, les fontaines, les lacs, les fleuves, les innombrables familles des plantes, les beaux vergers, et tout le reste. Apportez donc aussi votre petite part afin qu'il puisse vous octroyer encore les choses du monde supérieur. Ne nous négligeons pas nous-mêmes, ne renonçons pas à notre salut, puisque nous avons devant nous, comme un immense océan, la bonté de ce Maître universel qui est le premier à regretter nos péchés. Devant nous s'ouvrent le royaume des cieux, le paradis et tous ces biens que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur n'a pas conçus, ces biens que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment. (I Cor. II, 9.) Ne devons-nous pas mettre tout notre souci à faire quelque chose pour ne pas être exclus de tout cela? Ignorez-vous ce que dit saint Paul? lui qui s'est épuisé à tant de travaux, quia remporté des milliers de victoires sur le démon, qui a porté ses pas en tout lieu habité, qui a parcouru la terre, la mer et les airs, qui a sillonné comme sur des ailes tous les points de l'univers, qui a été lapidé, maltraité, frappé de verges, qui a tant souffert pour le nom de Dieu, qui a été appelé d'en-haut par une voix céleste, écoutez ce qu'il dit, quelles paroles il fait entendre : Nous recevons de Dieu la grâce; mais de mon côté j'ai travaillé et j'ai fourni ma part; Et la grâce qui est en moi n'est pas demeurée inutile; car plus qu'eux tous j'ai travaillé et contribué. (I Cor. XV, 10.) Je connais, dit-il, je connais la grandeur de la grâce que j'ai reçue ; mais elle n'a pas trouvé en moi un paresseux; les œuvres que j'ai apportées pour ma part sont manifestes. — Et nous aussi, à cet exemple, enseignons à nos mains l'aumône afin de fournir notre petite part; pleurons nos péchés et gémissons sur nos iniquités, afin de prouver que nous fournissons notre petite part . les dons que Dieu nous réserve sont grands, ils dépassent la portée de notre puissance; ce sont le paradis, le royaume céleste auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

 

QUATRIÈME HOMÉLIE.

ANALYSE.

1° C'est le quatrième jour que l'orateur entretient son auditoire au sujet de la pénitence. — Combien la pénitence est consolante , et l'exemple des autres propre à nous encourager! — 2° La vertu est facile dans l'adversité, difficile dans la prospérité. — 3° Les saints ne se laissent ni abattre par la mauvaise fortune, ni enfler par la bonne. — 4° Cherchez, non auprès des hommes, mais dans le sein de Dieu, un refuge toujours facile à trouver. — 5° Si Dieu permet que nous soyons souvent affligés, c'est afin de nous forcer à recourir à lui.

1. Les bergers conduisent habituellement leurs brebis aux endroits où ils voient l'herbe plus abondante, et ils ne les en retirent que lorsque le pâturage est entièrement dépouillé. Nous les imitons : voici le quatrième jour que nous faisons paître notre troupeau sur le champ de la pénitence et nous ne songeons pas encore aujourd'hui à le quitter : car nous voyons qu'il y a abondance d'excellente nourriture en même temps qu'abondance de contentement et de profit.

Le feuillage des arbres, qui sert aux troupeaux d'abri contre les ardeurs du midi, qui répare l'épuisement de leurs forces, qui leur fournit une ombre agréable et utile, qui les invite à un doux sommeil, ne vaut pas pour eux ce que vaut pour nous la méditation des divines Ecritures ; elle repose et rafraîchit les âmes endolories et abattues de fatigue; elle tempère la violence et la fièvre de leurs peines, elle leur offre des consolations plus suaves et plus réparatrices que tous les ombrages. Lorsqu'un homme surpris et circonvenu par la tentation est tombé, lorsqu'il est rongé par ses remords, lorsqu'au souvenir de son péché il se plonge dans un abîme de découragement et se sent chaque jour davantage embrasé par des flammes secrètes, lorsque des milliers de consolateurs ne lui apportent aucune consolation , s'il entre dans l'église et s'il entend raconter qu'une multitude de saints se sont relevés après être tombés et sont rentrés en possession de leur dignité première, cet homme s'en retourne après avoir recouvré intérieurement son courage. Quand nous avons souvent offensé les hommes, nous n'osons pas découvrir notre faute, nous avons peur, nous avons honte; et si nous la découvrons, nous ne gagnons guère; mais quand c'est Dieu qui nous console et qui nous touche le coeur, toute la tristesse satanique s'enfuit rapidement. Aussi les chutes des saints nous ont été décrites à cette fin que justes et pécheurs en retirent un abondant profit. Le pécheur ne se laisse pas aller au découragement et au désespoir, quand il voit qu'un autre, tombé comme lui, a eu la force de se relever : le juste devient plus diligent et plus ferme; car, quand il voit que tant d'autres, meilleurs que lui, ont failli, il puise dans la crainte d'une chute pareille à la leur la circonspection, il fait bonne garde partout, il s'entoure de la plus active vigilance : de la sorte, celui qui a préservé sa vertu la préserve mieux encore, celui qui a péché se sauve du désespoir; l'un reste ferme, l'autre recouvre promptement ce qu'il a perdu. Lorsqu'un (292) homme nous console dans nos peines et que nous semblons reprendre courage pour un temps, bientôt nous retombons dans notre même faiblesse; mais lorsque Dieu se charge de nous exhorter par l'exemple de ces autres pécheurs qui se sont repentis et sauvés, il nous met sa bonté dans une telle lumière que, ne pouvant douter de leur salut, nous recevons par là un encouragement solide et efficace. Ainsi, dans le cas de péché comme dans les accidents périlleux pour nous, les antiques récits de l'Ecriture offrent un bon remède aux âmes affligées, à toutes celles du moins qui veulent y prêter attention. Sommes-nous frappés par la confiscation de nos biens ou par les délations de vils calomniateurs, ou par la condamnation à la prison ou par les verges ou par quelque autre malheur, jetons les yeux sur ces justes qui ont souffert les mêmes calamités et les ont supportées , et nous pourrons revenir promptement à nous-mêmes. Dans les maladies du corps, celui qui souffre ne fait, en contemplant les maux d'autrui, qu'augmenter son propre mal ou même se donner souvent celui qu'il n'avait pas : ainsi regarder certaines gens qui ont les yeux malades suffit pour contracter par la vue seule la même infirmité; en ce qui concerne l'âme, il n'en est pas ainsi, mais c'est tout l'opposé qui arrive ; penser habituellement à ceux qui ont souffert les mêmes maux que nous est le moyen d'alléger le sentiment douloureux de nos propres misères. C'est pourquoi saint Paul exhortait les fidèles en leur mettant sous les yeux les saints non-seulement ceux qui étaient vivants, mais ceux encore qui étaient morts. S'adressant aux Hébreux qui chancelaient, qui menaçaient de faillir, il leur rappelait Daniel, les trois jeunes gens, Elie, Elisée ; il leur disait.: Ils ont fermé la gueule des lions, ils. ont arrêté la violence du feu, ils ont échappé au tranchant du glaive, ils ont été lapidés, ils ont été en butte aux insultes et aux coups, ils ont subi les chaînes et la prison. Ils ont été errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, manquant de tout, affligés, persécutés, eux dont le, monde n'était pas digne (Hébr. XI, 34, etc.) — La communauté de souffrances console les malheureux être seul à supporter quelque mal considérable, c'est souffrir sans soulagement; mais trouver un compagnon de misère, c'est rendre la plaie plus douce.

2. Donc, si nous voulons ne pas succomber aux maux qui semblent devoir nous accabler, méditons avec soin les récits de l'Ecriture c'est là que nous recueillerons de nombreuses ressources de patience , non - seulement en nous consolant par les exemples de ceux qui ont subi les mêmes afflictions que nous, mais aussi en apprenant les moyens de nous délivrer des peines qui nous ont frappés, de conserver la grâce du pardon après l'avoir reconquise, de nous préserver de la négligence et de ne pas nous laisser emporter par une folle témérité. Que sous la pression de l'adversité nous soyons soumis et humbles, nous montrions une grande religion, ce n'est pas étonnant : la nature des épreuves est telle précisément qu'elle force les âmes (fussent-elles rudes comme la pierre) à en venir là, à sentir la douleur : mais c'est le fait d'une âme religieuse et tenant toujours Dieu présent à son regard -de ne pas retomber, même après qu'elle est sortie des épreuves, dans l'insouciance et dans l'oubli du devoir. Ce qui arriva souvent aux Juifs. C'est pourquoi le Prophète leur disait en se raillant d'eux: Quand Dieu les faisait périr, ils le recherchaient, ils revenaient à lui, ils accouraient dès le petit jour. (Psal. LXXVII, 34.) Et Moïse, qui les connaissait par expérience, les exhortait souvent en ces termes : Quand tu auras mangé et bu, quand tu seras rassasié, prends garde à toi, de peur que tu n'oublies le Seigneur ton Dieu. (Deut. VI,12.) Aussi ne faut-il pas tant admirer les saints parce que au fort de la tribulation ils furent pieux et sages, que parce que, la tempête passée et le calme revenu, ils ont persévéré dans la prudence et la ferveur. Il faut admirer un cheval qui peut, sans le secours du frein, fournir une course parfaitement régulière; mais que, maintenu par le mors et la bride, il aille droit son chemin, je n'y vois rien d'extraordinaire : en ce cas, ce n'est pas à l'excellence du sang, mais à la nécessité imposée par le frein, qu'il convient d'attribuer la régularité de sa marche. Disons la même chose de l'âme : qu'elle soit docile sous la pression de la crainte, ce n'est pas étonnant; mais lorsque les épreuves sont passées et que le frein de la terreur est écarté, montrez-moi une âme se possédant dans la sagesse et dans une parfaite ordonnance. Ah! je crains bien qu'en voulant accuser les Juifs, je ne fasse le procès à notre propre vie : dans le temps où nous étions poursuivis par la faim , la peste, la grêle, la sécheresse, l'incendie, les incursions (293) d'ennemis, les églises ne se trouvaient-elles pas chaque jour trop petites pour la multitude qui y affluait? Alors nous avions une belle sagesse, un grand mépris pour les choses de cette vie plus de soif d'argent, plus d'ambition de gloire, plus d'appétits et d'amour lascifs, aucune pensée mauvaise enfin ne nous agitait; tous, nous nous adonnions avec des prières et des larmes au culte divin. En ce temps-là le fornicateur se conduisait avec modestie, le rancunier courait à la réconciliation, l'avare s'adoucissait jusqu'à faire l'aumône , l'homme emporté et brutal se convertissait à l'humilité et à la mansuétude. Mais, lorsque Dieu eut déposé sa colère , chassé cette tempête, et ramené le calme après de tels orages, nous sommes rentrés dans nos habitudes d'autrefois. Or, à l'époque même de la tribulation, je ne cessais de vous prédire cela et de l'attester à l'avance; mais je n'ai rien gagné : sous avez écarté de vos souvenirs toutes - ces choses comme un songe , comme une ombre qui passe. C'est pourquoi je crains maintenant plus que je ne craignais alors; et je redoute à présent davantage ce que je vous annonçais alors, je crains que nous n'attirions sur nous des calamités plus terribles et que nous ne recevions de la main de Dieu une irrémédiable blessure. Celui qui, après avoir souvent péché, a obtenu de Dieu le pardon et qui néanmoins n'a pas ensuite profité de cette divine tolérance pour déposer son iniquité, Dieu le traite enfin de telle sorte que bon gré mal gré il accumule sur lui une montagne de maux, il l'en écrase, il ne lui laisse aucun recours à la pénitence c'est ce qui arriva au Pharaon égyptien. Après avoir éprouvé l'immense longanimité de Dieu dans la première, la deuxième, la troisième, la quatrième plaie et dans toutes les autres qui suivirent, après en avoir négligé tout le bénéfice, il fut enfin renversé et anéanti totalement avec tout son peuple. Les Juifs éprouvèrent le même sort. C'est pourquoi le Christ, qui se disposait à les perdre et à les frapper d'une ruine irréparable, leur disait : Que de fois j'ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu! Voilà que votre maison sera abandonnée à la solitude ! (Luc, XIII, 34.) Je crains que nous n'ayons à subir, nous aussi, le même châtiment, puisque ni les maux d'autrui ni les nôtres ne nous out ramenés à la sagesse. Ce que je dis, je ne le dis pas seulement à vous qui êtes ici présents, je le dis encore à ceux qui ont fait divorce avec la ferveur quotidienne et qui ont oublié les calamités passées, à ceux que je m'épuisais à avertir, en ne cessant de leur dire : lors même que les épreuves seraient passées , gardez-en dans vos âmes le souvenir, afin que nous rappelant sans cesse le bienfait, nous rendions sans cesse grâces à Dieu qui l'a octroyé.

3. Voilà ce que je disais alors, ce que je dis encore aujourd'hui; voilà ce que je dis par vous aux autres. Imitons les saints qui ne se laissèrent ni abattre par le malheur ni amollir par la prospérité, comme ont fait bien des gens de notre temps , pareils à ces barques légères qui sont enveloppées et submergées par la moindre agitation des flots. Souvent la pauvreté, arrivant à l'improviste, nous coule à fond et nous noie; d'autres fois la richesse, en nous favorisant, nous enfle et nous jette dans la plus complète oisiveté. Je vous en supplie donc, dédaignez tout le reste pour songer, chacun de votre côté, à préparer vos âmes pour le salut; votre salut une fois assuré, peu importe quels maux vous frappent; la faim, la maladie, la délation, le pillage de vos biens, un malheur quelconque, tout vous sera tolérable et léger en raison du précepte de Dieu et de l'espérance que nous avons en lui; mais au contraire, c'est en vain que la richesse abonde, que les enfants prospèrent, que des biens infinis vous fournissent toutes les jouissances, l'homme qui les possède ne fait qu'accumuler des chagrins et des peines, quand son âme est mal disposée vis-à-vis de Dieu. Ne poursuivons pas l'opulence et ne fuyons pas la pauvreté ; ayons avant tout le souci de notre âme, mettons-la en bon ordre non-seulement pour l'arrangement de notre vie présente, mais encore pour notre départ de ce monde en l'autre. Encore un peu de temps, et l'examen de chacun de nous aura lieu, lorsque devant le tribunal redoutable du Christ nous comparaîtrons tous, entourés de nos couvres personnelles, et voyant de nos propres yeux, ici les larmes des orphelins, là les honteuses débauches dont nous avons souillé nos âmes, ailleurs les gémissements des veuves, plus loin les outrages faits aux malheureux et les rapines commises contre les pauvres, et non-seulement ces actes coupables et tous les autres semblables, mais encore tout ce que nous avons fait de mal par la pensée : Dieu est en effet le scrutateur des pensées et le juge des intentions. (Héb. IV, 42) ; (294) c'est lui qui examine les coeurs et les reins, (Ps. VII, 10), lui qui rend à chacun selon ses œuvres. (Matt. XVI, 27.)

Ce sermon ne regarde pas uniquement ceux qui vivent dans le siècle, mais ceux aussi qui, pour mener la vie monastique, sont allés dans les montagnes dresser leurs tentes; ils doivent non-seulement garder leurs corps purs de toute souillure de fornication , mais aussi préserver leurs âmes de la satanique envie de posséder. C'est aux hommes et à l'Eglise tout entière, autant qu'aux femmes, que saint Paul s'adresse quand il dit que l'âme virginale doit être pure de corps et d'esprit (I Cor. VII, 34) ; et ailleurs : Offrez à Dieu vos corps purs comme une vierge chaste. (II Cor. XI, 2.) Comment chaste? N'ayant ni souillure ni ride. (Ephés. V, 27.) Ces vierges, qui n'avaient que des lampes éteintes, possédaient lai virginité du corps, mais non pas la pureté du coeur ; aucun homme ne les avait souillées sans doute, mais l'amour de l'argent les avait corrompues. Leur corps était pur, mais leur âme était remplie par d'autres adultères : là régnaient les pensées mauvaises, et l'avarice, et la dureté, et la colère, et l'envie, et l'oisiveté, et la négligence, et l'orgueil, et tous les autres vices qui insultaient à leur dignité de vierges. C'est pourquoi saint Paul disait : Que la vierge soit sainte de corps et d'esprit (I Cor. VII, 34); et ailleurs : La vierge doit s'offrir parfaitement chaste au Christ. (II Cor. XI, 2.) De même que le corps se souille dans la fornication, ainsi l'âme se déshonore par les pensées sataniques, les dogmes pervers, les maximes déraisonnables. Celui qui dit : je suis vierge de corps, mais dans le coeur je porte envie à mon frère; celui-là n'est pas vierge, il a corrompu sa virginité en la mêlant de haine. Celui qui ambitionne une misérable gloire, n'est pas vierge non plus, il a corrompu sa virginité par l'amour des sottes fascinations ; cette passion une fois entrée dans le coeur y ruine la virginité. Celui qui hait son frère s'appellerait plutôt assassin que vierge. En résumé, toute passion mauvaise, en s'emparant d'un homme, en a, du même coup, empoisonné la virginité. Pour cette raison, saint Paul repousse tous ces funestes mélanges et nous ordonne d'être vierges, de telle sorte que nous ne donnions librement accès dans notre âme à aucune pensée mauvaise.

4. Que dire à cela ? Comment obtiendrons-nous miséricorde, et comment nous sauverons-nous? Je vais vous le dire : ouvrons toujours notre coeur à la prière et à ses fruits, c'est-à-dire à l'humilité et à la douceur. Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez le repos pour vos âmes. (Matth. XI, 29.) Et David : Le sacrifice agréable à Dieu est une âme pénitente; Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié. (Psalm. I, 19.) Dieu ne recherche et n'aime rien tant qu'une âme douce, humble et reconnaissante. Et vous aussi, mon frère, remarquez ceci lorsqu'un accident vous frappe à l'improviste et vous chagrine, ne cherchez pas refuge auprès des hommes, ne jetez pas les yeux sur un secours périssable; mais, laissant tout cela de coté, courez par la pensée au médecin des âmes. Le seul qui puisse apporter remède aux blessures de votre coeur est Celui qui a fait le coeur de chacun de nous et qui connaît toutes nos oeuvres (Ps. XXXII, 15) ; voilà celui qui peut entrer dans notre conscience, poser la main sur notre âme et l'émouvoir. S'il n'y parvient pas, tout ce qu'essayeront les hommes restera inutile et vain; au contraire, lorsque Dieu nous console et nous exhorte, rien n'est capable de nous faire le moindre préjudice, lors même que les hommes nous écraseraient de mille chagrins; quand Dieu affermit notre coeur, rien ne peut l'ébranler.

Puisque nous savons cela, mes amis, cherchons toujours notre refuge auprès de Dieu, auprès de celui qui a volonté et pouvoir de nous délivrer du malheur. Lorsqu'il nous faut implorer les puissances humaines, nous sommes obligés de parlementer d'abord avec les portiers, puis de nous adresser aux habitués de la maison et aux courtisans, et enfin de parcourir un long détour; avec Dieu, rien de semblable, il nous écoute sans intermédiaire, il accueille nos requêtes sans dépense et sans frais; il suffit de crier du fond du coeur vers lui, de lui offrir nos larmes, à peine admis en sa présence nous l'attirons à nous. Recourons-nous à un homme, souvent nous avons à craindre qu'un de nos ennemis, un de leurs affidés, un adversaire quelconque, entendant l'exposé de notre affaire ou l'apprenant par autrui, né vienne à la traverse de notre droit; avec Dieu nous n'avons aucune inquiétude de ce genre. Lorsque vous voulez me prier, nous dit-il, venez à moi, venez tout seul, sans témoins, c'est-à-dire priez du coeur, sans remuer même les lèvres. Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte sur (295) vous et priez votre Père en secret; et votre Père, qui voit ce qui se passe en secret, vous accordera en public ce que vous demanderez. (Matth. VI, 6.) Voyez quel excès d'honneur ! Lorsque vous me priez, dit-il, faites que personne ne s'en aperçoive; mais lorsque je vous favorise, je rends toute la terre témoin de mon bienfait. Laissons-nous donc persuader prions ; mais ne prions ni pour l'apparence, ni contre nos ennemis, et ne prétendons pas enseigner à Dieu la manière dont il nous doit secourir. Quand nous nous adressons aux avocats et aux rhéteurs qui plaident devant les tribunaux, nous leur exposons simplement nos affaires, nous les laissons libres de choisir eux-mêmes le mode de la défense et de traiter de nos intérêts comme ils l'entendront; à plus juste titre, faut-il en agir de même sorte avec Dieu. Lui avez-vous expliqué votre cause et raconté vos souffrances? eh bien ! prenez garde de lui expliquer aussi de quelle façon il doit vous aider; il sait parfaitement ce qui vous convient. Il est certaines gens qui, pour prier, récitent à la file des milliers de phrases : Seigneur, donnez-moi la santé du corps; Seigneur, augmentez au double mes possessions ; Seigneur, protégez-moi contre cet ennemi. Tout cela est pleinement absurde. Il faut écarter toutes ces sottes réclames, et prier uniquement à la manière de ce publicain qui disait : Mon Dieu, ayez pitié d'un pauvre pécheur. (Luc, XVIII, 13.) Et Dieu saura bien comment vous secourir. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, dit l'Evangile, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Matth. VI, 33.) Pratiquons donc, mes chers amis, pratiquons cette laborieuse et humble sagesse, frappons notre poitrine à l'exemple du publicain, et nous obtiendrons ce que nous demandons; si notre prière sort d'une âme remplie par la colère et la haine, nous serons trouvés devant le Seigneur, abominables et odieux. Broyons notre coeur, humilions notre âme, prions pour nous et pour ceux qui nous persécutent. Si vous voulez attirer le Juge souverain au secours de votre âme et l'attacher à votre parti, ne l'interpellez jamais contre votre ennemi. Ce Juge, en effet, est de tel caractère, qu'il accueille et exauce les demandes de ceux qui prient pour leurs ennemis, qui oublient les injures reçues, qui rie s'emportent pas contre leurs adversaires ; et d'autant qu'ils entrent davantage en ces dispositions, d'autant Dieu traite plus rigoureusement leurs ennemis, si ces derniers ne se convertissent pas à une sincère pénitence.

5. Quand une injure vient vous atteindre, prenez garde, mes frères, de vous livrer de suite à l'indignation et au découragement ; rendez plutôt grâces à Dieu avec une sage modération et attendez son secours. Dieu ne pouvait-il pas, avant toute prière, nous accorder tous les biens ? Ne pouvait-il pas nous faire une vie exempte de douleurs et libre de tout souci ? Eh bien ! il réalise ces deux choses par un ingénieux procédé de son amour. Pourquoi permet-il que nous souffrions, sans venir immédiatement à notre aide? Pourquoi ! Pour nous obliger à recourir à lui sans cesse, à réclamer son appui, à chercher près de lui un refuge , à invoquer perpétuellement son assistance. Voilà d'où viennent les douleurs physiques, d'où vient la disette des fruits de la terre, d'où viennent les famines ; par toutes ces calamités, il nous montre que nous dépendons de lui entièrement, et par les malheurs du temps il nous fait conquérir l'héritage de la vie éternelle. Aussi devons-nous, même pour ces maux, rendre grâces à Dieu qui les emploie comme de nombreux moyens de guérir et de sauver nos âmes. Les hommes qui nous ont rendu quelque mince service et que, plus tard, nous contrarions légèrement, même sans le vouloir, ces hommes, dis-je, nous reprochent aussitôt le bienfait reçu et nous le jettent au visage, de telle sorte que souvent nous regrettons amèrement de l'avoir accepté; Dieu n'agit pas ainsi, outragé et insulté après les plus magnifiques largesses, il s'excuse encore, il entre en explications avec celui qui l'offense : O mon peuple que t'ai-je fait? dit-il. Le peuple ne voulait pas l'appeler son Dieu, mais Dieu ne cessait de l'appeler son peuple ; les Juifs reniaient son autorité, mais Dieu ne les reniait pas, ne cessait pas de les traiter comme siens et de les attirer à lui, en disant: O mon peuple, que t'ai-je fait? Est-ce que j'ai été pour toi une charge, un fardeau, un embarras? Tu ne peux pas le dire ; et, quand cela serait, faudrait-il donc résister de la sorte? Quel est le fils que son père ne corrige jamais? (Hébr. XII, 7.) Et pourtant vous ne pouvez pas même dire cela. Et ailleurs il demande encore Quel sujet de plaintes vos pères ont-ils trouvé en moi? (Jérém. II, 15.) Grande et étonnante parole ! En l'employant, il semble dire : En quoi ai-je péché? Et c'est Dieu qui demande (296) à des hommes en quoi il a péché, Dieu qui s'exprime comme des esclaves ne voudraient pas s'exprimer en parlant à leurs maîtres. Dieu ne dit pas: En quoi ai-je péché contre vous, mais il dit : contre vos pères; vous ne pouvez pas même prétexter que vous conservez contre moi une inimitié que vous auraient transmise vos ancêtres. Dieu ne dit pas tout simplement : Qu'est-ce que vos pères ont eu contre moi, mais il dit : Qu'est-ce que vos pères ont trouvé contre moi. Après avoir bien cherché, après avoir examiné dans tous les sens pendant les années si nombreuses qu'ils ont passés sous- mon autorité, ils n'ont pas trouvé un seul reproche à me faire. — Pour tous ces motifs, courons nous réfugier auprès de lui , dans tous les chagrins demandons-lui la consolation, dans toutes les calamités la délivrance et sa miséricorde, dans toutes les tentations son secours ; quelle que soit la grandeur de nos maux et de nos misères, il peut tout dissiper et écarter, et non-seulement cela, mais encore sa bonté nous accordera la pleine sécurité, et la force, et la vraie gloire, et la santé du corps, et la sagesse de l'âme, et les plus belles espérances, et la grâce de ne plus pécher si facilement. Ne murmurons plus à la manière de serviteurs ingrats, n'accusons plus le Seigneur, mais rendons-lui grâces en toutes choses, et n'estimons comme un mal que le péché qui l'outrage. Si nous mettons en nous ces dispositions envers Dieu , rien ne nous séparera de lui, ni la maladie, ni la pauvreté, ni les outrages, ni la disette, ni quoi que ce soit de ce qu'on range parmi les maux de ce monde; mais, après avoir recueilli ici-bas de pures et chastes joies, nous obtiendrons les biens éternels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint la gloire maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé A. SONNOIS.

 

 

 

 

CINQUIÈME HOMÉLIE (1). Du jeûne ; — sur le prophète Jonas ; — sur Daniel et les trois jeunes hommes ; — sur la Pénitence ; — elle a été prononcée au commencement du Carême.

ANALYSE.

1° Le jeûne nous rassemble dans la maison de Dieu notre Père, et nous ramène dans les bras de l'Eglise notre Mère. — Il met en fuite les démons, il soutient la vertu des solitaires, il conduisait Moïse et Elie en présence de Dieu. — 2° Vous méprisez le jeûne, Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. —Exemple des Ninivites. — 3° Un jeûne de trois jours les sauva. — C'est moins la longue durée que l'énergie de la pénitence qui efface les péchés. — Exemple de saint Pierre. — 4° Ce fut par le jeûne que Daniel se fit respecter du lion, et les trois jeunes hommes de Babylone des flammes dans lesquelles ils avaient été jetés. — 5° Le jeûne est utile, même pour la santé. — Il s'excuse d'en dire davantage sur ce que l'évêque Flavien devait parler après lui.

1. C'est aujourd'hui un jour de fête et d'allégresse, et notre assemblée est plus nombreuse qu'à l'ordinaire. A quoi faut-il l'attribuer? au jeûne. C'est le fruit de sa présence, ou plutôt de son approche. Le jeûne nous rassemble dans la maison de notre père; le jeûne réveille notre zèle, et nous ramène dans les bras de notre mère. Mais si l'attente seule nous inspire une telle ardeur, combien plus sa présence même nous rendra-t-elle vigilants et attentifs ! Une ville que doit visiter un gouverneur sévère sort de son engourdissement, et déploie toute son activité. Mais que cette comparaison du jeûne avec un gouverneur sévère ne vous effraye pas; ce n'est pas pour vous qu'il est redoutable, c'est pour les démons. Qu'un homme soit agité de l'esprit impur, montrez-lui seulement la figure du jeûne; enchaîné par la crainte , il deviendra calme et aussi immobile qu'un terme, surtout s'il voit associée au jeûne sa soeur et sa

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

compagne, je veux dire la prière. Cette espèce de démon, dit Jésus-Christ, ne se chasse que par te jeûne et la prière. (Matth. 17, 20.) Puisque le jeûne chasse les ennemis de notre salut, et qu'il est redoutable à nos adversaires les plus terribles, nous devons, loin de le craindre, le chérir et l'embrasser avec joie. C'est l'ivresse, c'est l'intempérance, et non le jeûne, qu'il faut redouter. L'intempérance nous charge de fers, elle nous livre à la tyrannie de nos passions comme à un maître dur et cruel, au lieu que le jeûne, brisant nos liens, nous affranchit du joug insupportable d'une odieuse servitude, et nous rend la liberté que nous avions perdue. Si donc il combat nos ennemis, s'il nous fait passer de l'esclavage à la liberté, où trouver une preuve plus forte de son amour pour l'espèce humaine ? La plus forte preuve d'amitié que l'on puisse donner à quelqu'un, n'est-ce pas d'aimer ce qu'il aime et de haïr ce qu'il hait? Voulez-vous apprendre comment le jeûne est (298) le plus bel ornement de l'homme, et sa plus forte défense, pensez à l'ordre bienheureux et admirable des solitaires. Ils ont fui le tumulte de ce monde pour se réfugier sur le sommet des montagnes, et se formant des cabanes dans la solitude, comme dans un port tranquille, ils ont pris le jeûne pour leur associé et pour leur compagnon. Le jeûne en a fait des anges; il les élève au faîte d'une philosophie sublime, et non-seulement eux, mais tous ceux encore qui dans les villes suivent fidèlement ses leçons. Moïse et Elie, qui s'élèvent comme des tours sublimes parmi les prophètes de l'Ancien Testament, ces hommes si illustres et si grands, avaient beaucoup de crédit auprès de Dieu; cependant toutes les fois qu'ils voulaient en approcher et converser avec lui, autant qu'il est possible à un simple mortel, ils avaient recours au jeûne, qui les conduisait comme par la main auprès de la Divinité. Aussi lorsque Dieu eut créé l'homme, il le mit aussitôt entre les mains du jeûne, comme entre les mains d'une mère tendre et d'un excellent maître. Ces paroles : Tu peux manger de tous les fruits des arbres de ce jardin, mais ne touche pas au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal (Gen. II, 16, 17), sont une espèce de précepte du jeûne. Or, si le jeûne était nécessaire dans le paradis terrestre, à plus forte raison l'est-il dans le monde. Si le remède était utile avant la blessure, à plus forte raison l'est-il après; si nous avions besoin d'armes lorsque les passions ne nous avaient pas encore déclaré la guerre, à plus forte raison le jeûne nous est-il nécessaire, maintenant que les passions et les démons se liguent pour nous combattre. Si Adam avait écouté la première parole de Dieu, il n'eût pas entendu cette seconde : Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gen. III, 19.) C'est parce qu'il a désobéi qu'il a trouvé la mort, les ronces,.les épines, le travail, une vie agitée par les inquiétudes, une vie plus triste que la mort même.

2. Vous voyez comme Dieu s'irrite lorsqu'on dédaigne le jeûne: écoutez comme il s'apaise lorsqu'on le pratique. Vous méprisez le jeûne , Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. Comme il voulait vous montrer toute la vertu de ce pieux exercice, il lui a donné le pouvoir de rappeler des voies du trépas et de ramener à la vie des hommes déjà condamnés, déjà sous le poids d'une sentence et qu'on traînait au supplice, et cet effet ne s'est pas étendu à deux ou trois, à vingt hommes seulement, mais à tous les Ninivites. Une ville immense et magnifique, couchée dans la poussière, sur le bord du précipice, allait recevoir du ciel le coup qui devait la faire rouler dans l'abîme, lorsque le jeûne, comme une vertu survenue d'en-haut, l'a arrachée des portes de la mort et l'a ramenée à la vie. Mais déroulons ensemble des pages de cette grande histoire. Le Seigneur adressa la parole à Jonas, dit l'Ecriture, allez, lui dit-il, dans la grande ville de Ninive. (Jon. 1, 12.) D'abord Dieu cherche à intéresser le prophète, dont il prévoit la fuite , par la grandeur et l'importance de la ville. Mais entendons la prédiction : Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Id. III, 4.) Pourquoi annoncer à l'avance tout le mal que vous allez faire? —Afin de n'être pas obligé d'accomplir ce que j'annonce. Ainsi, vous l'entendez, il menace ce peuple des feux de l'enfer, pour ne pas l'y jeter. Que mes paroles, dit-il, vous inspirent un salutaire effroi, afin que vous n'en éprouviez pas l'effet. Pourquoi resserre-t-il le temps dans un si court espace? c'est pour nous montrer toute la vertu de ces barbares, je veux dire des Ninivites qui, en trois jours, savent écarter de leurs têtes les maux qu'avaient mérités leurs crimes. C'est aussi pour que vous admiriez la clémence de Dieu, dont une pénitence de trois jours suffit pour désarmer le courroux, et que vous ne tombiez pas dans l'abattement, quel que soit d'ailleurs le nombre de vos péchés. En effet, de même qu'une âme engourdie dans la paresse ne travaille que faiblement à son salut et à sa réconciliation avec Dieu, quoiqu'elle ait tout le temps nécessaire à la pénitence, de même une âme embrasée d'une sainte ardeur, et qui s'empresse de se laver de ses péchés dans les eaux de la pénitence, peut, dans un court espace de temps, effacer jusqu'à la trace de ses souillures. Pierre n'a-t-il pas renié trois fois son maître ? trois fois n'a-t-il pas juré qu'il rie le connaissait pas? Les paroles d'une misérable servante n'avaient-elles pas glacé son courage ? Eh bien ! a-t-il eu besoin de plusieurs années de pénitence? Non, sans doute, il s'est relevé la même nuit qu'il était tombé ; blessure et remède se sont suivis de près; malade, il a recouvré soudain la santé. Comment? par son repentir et par ses larmes. Que dis-je? par des torrents de larmes (299) qu'il versa. Car l'Evangéliste ne dit pas seulement qu'il pleura, mais qu'il pleura amèrement. (Matt. XXVI, 75.) il n'y a pas d'expression assez forte pour peindre l'abondance de ses pleurs ; l'événement le fait voir clairement. Après cette chute déplorable sans doute, puisque rien ne peut égaler l'horreur de ce reniement honteux, après cette chute, Pierre remonte à sa dignité première, et Dieu lui confie le gouvernement du monde entier, et ce qu'il y a de plus admirable, il nous le montre plus attaché au Seigneur que tous les apôtres ensemble. Pierre, lui dit-il, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci? (Jean, XXI, 15.) Est-il un exemple plus éclatant de ce que peut le repentir? Pour qu'on ne dise pas que si Dieu a pardonné aux Ninivites, cela n'a rien d'étonnant, puisque c'étaient des hommes grossiers et ignorants, et pour que l'on n'atténue pas la miséricorde divine en s'autorisant de ces paroles: Le serviteur qui n'aura pas su la volonté de son maître, et quine l'aura pas exécutée, sera moins battu (Luc, 12, 48), voilà Pierre qui vient rendre témoignage : Pierre connaissait parfaitement cette sainte volonté. Cependant, tombé de si haut et si bas, il recouvre toute la confiance du Sauveur. Vous-même, donc, quelque faute que vous ayez commise, ne désespérez pas de votre salut. Ce qu'il y a de plus terrible dans le péché, c'est d'y persévérer. Il n'y a pas de chute plus lourde que celle dont on ne saurait se relever; c'est ce malheur qui arrache des larmes des yeux de Paul, des soupirs de sa poitrine. Puisse Dieu, dit-il, lorsque je serai revenu chez vous, ne pas m'humilier! Puissé-je ne pas être obligé d'en pleurer plusieurs, non-seulement de ceux qui auront péché, mais de ceux qui, étant tombés dans des impuretés, dans des fornications et des dérèglements infâmes, n'en auraient point fait pénitence. (II Cor. XII, 21.) Certes il n'y a pas pour la pénitence de temps plus propice que le temps du jeûne.

3. Mais je reviens à l'histoire de Ninive. Le prophète entendant ces paroles descendit au rivage de Joppé, pour se retirer à Tarsis, et fuir de devant la face du Seigneur. (Jon. 1, 3.) Homme, où donc fuis-tu? n'as-tu pas entendu la voix du Prophète? Où irai-je pour me dérober à votre esprit? et où m'enfuirai-je de devant votre face? (Ps. CXXXVIII, 7.) Sur la terre? mais la terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur. (Ps. XXIII, 1.) Dans l'enfer? Si j'y

descends, vous y êtes encore. (Ps. CXXXVIII, 8.) Dans le ciel? Si j'y monte, vous y êtes. (Ibid. 10.) Dans la mer? Votre main m'y soutiendra. Jonas l'éprouva. Mais la nature du péché est telle, qu'il jette les âmes dans les ténèbres de l'ignorance. Quand l'ivresse, en rendant la tête pesante, éteint en l'homme la lumière de la raison, il marche au hasard et sans rien voir, et tombe dans le précipice, le gouffre ouvert sous ses pas; c'est ainsi que ceux qui pèchent sont enchaînés par les liens d'une sorte d'ivresse et ne savent plus ce qu'ils font; le présent et l'avenir échappent à leurs yeux éblouis. Dites-moi, est-ce le Seigneur que vous fuyez? Attendez un peu, et l'événement vous prouvera que la mer elle-même, son esclave obéissante, ne saurait vous soustraire à son pouvoir. Jonas, en effet, avait à peine mis le pied sur le vaisseau, que la mer souleva ses flots et amoncela ses vagues comme des montagnes; et de même qu'une servante fidèle, venant à rencontrer un de ses compagnons fuyant loin de son maître après lui avoir fait un larcin, ne le quitte pas et fait auprès de ceux qui voudraient le recevoir tous ses efforts pour les en détourner, jusqu'à ce qu'enfin elle le ramène à la maison; de même la mer, reconnaissant en Jonas l'esclave fugitif, suscite aux matelots mille embarras, fait naître mille obstacles, gronde, élève sa grande voix, non pas pour le condamner, mais pour menacer le vaisseau et ceux qui le montent d'un prochain naufrage, s'ils ne lui rendent pas celui qui, comme elle, doit obéir au Seigneur. Que firent donc les matelots? Ils jetèrent dans la mer la charge du vaisseau qui n'en fut pas soulagé (Jon. 1, 5) ; car le même fardeau y était resté, le corps du prophète, charge pesante, moins par elle-même que par la grandeur du péché. Car rien n'est plus lourd en effet que le péché et la désobéissance. Zacharie le comparait à une masse de plomb. (Zach. V, 7.) David nous en fait connaître la nature en disant . Mes iniquités se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tête, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. (Ps. XXXVII, 5.) Jésus-Christ ne disait-il pas lui-même aux pécheurs endurcis : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. (Matth. II, 28.) Le poids du péché allait submerger le vaisseau; cependant Jonas dormait profondément, mais d'un sommeil lourd et non réparateur ; du sommeil de la douleur, et non pas de la tranquille innocence; car les serviteurs qui (300) ont l'âme généreuse s'aperçoivent vite de leurs fautes. C'est ce qui arriva à Jonas. A peine avait-il commis cet acte coupable de désobéissance, qu'il en sentit toute la gravité. A ces traits, reconnaissez le péché. Dès qu'il se montre, il cause à l'âme qui l'a conçu des douleurs surnaturelles. En venant au monde, l'enfant fait cesser les douleurs de sa mère, au contraire le péché, aussitôt qu'il est commis, déchire par des tourments affreux le coeur qui l'a engendré. Mais que fait le pilote? Il s'approche de Jonas, et lui dit: Levez-vous et invoquez le Seigneur votre Dieu. (Jon. 1, 6.) Son expérience lui a appris que ce n'est point une tempête ordinaire; il voit dans les coups qui le frappent la main de Dieu, qui, supérieure à tous les efforts humains; bouleverse les flots, et fait que tout l'art qu'il saurait employer ne leur sera d'aucun secours. Cette tempête, pour être vaincue, demandait un pilote plus grand qu'un homme, le pilote même qui gouverne à son gré le monde entier, elle ne pouvait être apaisée que par un secours d'en-haut. C'est pourquoi tout l'équipage, laissant là rames, voiles et cordages, élevait au ciel ses mains suppliantes, et priait Dieu. Voyant l'inutilité de leurs prières, les matelots jetèrent le sort, dit le prophète, et le sort leur révéla quel était le coupable. Ils ne se précipitèrent pas sur lui pour le plonger dans les flots; mais, au milieu du tumulte et dans les horreurs de la tempête, calmes comme s'ils eussent été à l'abri, ils érigèrent sur le vaisseau une sorte de tribunal, et permirent à Jonas de parler, de se défendre, et s'informèrent de la vérité avec autant de scrupule que s'ils eussent eu à rendre compte du jugement qu'ils allaient prononcer. A quoi vous occupez-vous? d'où venez-vous? où allez-vous? quel est votre pays, votre peuple? L'accusateur, c'était la mer dont les flots grondaient; le sort avait prononcé et porté témoignage contre Jonas, et cependant malgré les clameurs de la ruer, malgré l'arrêt du sort, les matelots hésitaient encore, et comme dans les tribunaux civils, la présence de l'accusateur, les dépositions des témoins, les indices, les preuves ne suffisent pas pour que les juges condamnent l'accusé, et qu'ils attendent ses propres aveux, ainsi ces hommes barbares et remplis d'ignorance n'observent pas moins l'ordre de la procédure, et cela quand leur vaisseau lutte contre les flots de la mer qui leur permet à peine de respirer, et qui s'abandonne à toute sa fureur. D'où provenaient toutes ces précautions? De Dieu même, qui voulait qu'il en fût ainsi, afin sans doute d'inspirer à son prophète des sentiments de douceur, et auquel il semblait dire: Imitez ces matelots, ces hommes ignorants; ils tiennent compte d'une âme, ils n'osent perdre votre corps; et vous, au contraire, vous avez compromis, autant qu'il a été en vous, le salut d'une ville où tant d'hommes respirent. Ils savent, ces matelots, que vous êtes la cause de tous leurs maux, et ils ne se sont pas jetés sur vous pour vous punir; et cependant, bien que vous n'ayez rien à reprocher aux Ninivites, vous les avez plongés dans l'abîme de perdition. Je vous ai ordonné d'aller auprès d'eux et de les sauver par votre prédication, vous m'avez désobéi. Les matelots, sans qu'on leur ait rien dit, s'inquiètent, s'agitent et cherchent tous les moyens de vous soustraire au supplice que vous avez mérité. En effet, la mer eut beau accuser Jonas, le sort tomber sur lui; en vain il porta témoignage contre lui-même, et fit l'aveu de sa fuite, ils ne donnèrent point la mort au coupable; on les vit, au contraire, tenter tous les moyens de le dérober, après sa faute, à la violence de la mer. Mais la mer, ou plutôt Dieu ne le permit pas, car il voulait le ramener dans la bonne voie par l'épreuve de la baleine, ainsi qu'il l'avait essayé par l'exemple que lui donnèrent les matelots. Quand ceux-ci eurent entendu Jonas leur dire : Prenez-moi, et jetez-moi dans la mer, et elle s'apaisera (Jon. I,12), ils tâchaient néanmoins de regagner la terre; mais les flots qui s'élevaient de plus en plus les en empêchèrent.

4. Vous avez vu fuir le prophète, entendez-le maintenant parler du fond des entrailles de la baleine. Dans le premier cas, c'est l'homme qui a souffert; dans le second, c'est le prophète qui se manifeste. La mer le reçut donc, le déposa dans le ventre de la baleine, comme dans une prison, pour conserver à Dieu son esclave fugitif; il ne périt ni dans les eaux, ni dans le ventre de l'énorme poisson qui le transporta jusque sous les murs de Ninive. Ainsi la mer et la baleine, par l'effet d'une force surnaturelle, se soumirent à l'ordre qui leur fut prescrit, pour que tout, dans cette circonstance, contribuât à l'instruction du prophète. Il arriva donc, et, comme s'il eût été chargé de lire une lettre du prince, qui eût contenu la condamnation à une peine sévère, il parcourait la ville (301) en criant : Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Jon. III, 4.) Les Ninivites entendirent cette menace, ils en crurent le prophète ; et aussitôt hommes, femmes, serviteurs, maîtres, magistrats, simples particuliers, enfants, vieillards, pratiquèrent le jeûne ; les animaux même ne furent pas dispensés d'une austère abstinence. On voyait partout le sac de la pénitence, partout la cendre, partout les pleurs et les lamentations. Celui même dont le front était orné du diadème descendit du trône royal, se revêtit du sac, se couvrit de cendres; et c'est ainsi que la ville fut arrachée au désastre dont elle était menacée. Chose étonnante ! le sac, alors plus honoré que la pourpre, fit ce que la pourpre n'avait pu faire; la cendre produisit l'effet que n'avait pu produire le diadème. N'ai-je donc pas eu raison de dire que nous devions craindre l'ivresse et l'intempérance, et non le jeûne? L'ivresse et l'intempérance furent à la veille de détruire une grande ville, et dé la renverser de fond en comble; le jeûne la soutint lorsqu'elle était sur le penchant de sa ruine. C'est parce que Daniel entra avec le jeûne dans la fosse aux lions qu'il en sortit comme s'il se fût trouvé avec des brebis. Ces animaux, qui par eux-mêmes ne respirent que meurtre et carnage, excités par leur férocité naturelle (car rien de plus féroce qu'un lion), et par leur faim qu'on avait irritée en ne leur donnant aucune nourriture pendant sept jours; ces animaux, dis-je, quoique pressés par un bourreau intérieur qui les sollicitait à déchirer les entrailles du prophète, respectèrent leur proie et n'osèrent pas toucher à cette nourriture qu'on offrait à leur avidité. C'est parce que les trois enfants à Babylone entrèrent avec le jeûne dans la fournaise ardente, qu'après avoir été longtemps au milieu des flammes, ils n'en sortirent que plus brillants et plus beaux. Toutefois si le feu qui les environnait était vraiment du feu, comment n'agissait-il pas selon sa nature ? Si leurs corps étaient vraiment des corps, comment n'éprouvèrent-ils pas ce qu'ils devaient éprouver au milieu des flammes ? Comment! interrogez le jeûne, il vous répondra, il vous donnera le mot de cette énigme, car c'en était une; il vous expliquera pourquoi des corps passibles combattirent contre le feu et triomphèrent du feu. Quelle lutte admirable ! quelle victoire plus admirable encore ! Appréciez la vertu du jeûne, et recevez-le avec empressement. Eh ! puisqu'il secourt dans la fournaise ses fidèles observateurs, et les garde dans la fosse aux lions, puisqu'il chasse les démons, révoque les sentences de Dieu, réprime la fureur des passions, nous ramène à la liberté, et rappelle le calme dans notre âme, ne serait-ce pas le comble de la folie que de le fuir et de le craindre lorsqu'il nous offre de si grands avantages? Il macère, dit-on, le corps et l'affaiblit. Oui; mais, dit l'Apôtre, plus l'homme extérieur se détruit en nous,plus l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (II Cor. IV, 16). Ou plutôt, si l'on veut examiner la chose avec attention, on verra que le jeûne est le père de la santé. Si vous n'en voulez pas croire mes discours, interrogez les médecins, et ils vous diront clairement que l'abstinence est la mère de la santé; qu'au contraire une foule de diverses maladies, telles que la goutte, la migraine, l'apoplexie, l'hydropisie, les inflammations, les tumeurs, sont engendrées par les délices et par l'intempérance, qu'elles en émanent comme de funestes ruisseaux d'une source funeste, et qu'en ruinant la santé du corps elles ruinent aussi la sagesse de l'âme.

5. Ne craignons donc pas le jeûne, puisqu'il nous délivre de si grands maux. Et ce n'est pas sans raison que je vous exhorte à ne pas le craindre; car j'en vois plusieurs qui , comme si on voulait les livrer à un maître dur et farouche, hésitent, balancent, se permettent aujourd'hui tous les excès de l'intempérance et de la débauche. Je vous exhorte donc à ne pas détruire d'avance, par ces excès, les avantages que vous pouvez retirer du jeûne. Ceux qui, avant de prendre des médecines amères pour remédier à des dégoûts, se remplissent de nourriture, ressentent toute l'amertume du remède, sans en recueillir le fruit, parce qu'ils l'empêchent d'agir comme il devrait sur les humeurs vicieuses. Aussi les médecins recommandent-ils de se coucher à jeun, afin que le remède attaque d'abord, avec toute sa vertu, l'abondance des humeurs qui causent la maladie. De même, si vous vous livrez aujourd'hui à l'ivresse pour prendre demain le remède du jeûne, vous le rendrez inutile, vous en éprouverez toute la peine sans en retirer le profit, parce que vous userez, pour ainsi dire, toute sa vertu contre le mal récent produit par la débauche, au lieu que si vous préparez votre corps, si vous l'allégez par l'abstinence, si vous recevez avec un esprit sobre un remède spirituel, vous pourrez par son moyen effacer (302) un grand nombre de vos anciennes fautes. N'allons donc pas au jeûne par l'ivresse, et ne terminons pas une sainte abstinence par des excès honteux; n'agissons pas, en un mot, comme celui qui précipiterait un corps malade en le poussant rudement. C'est ce qui arrive à notre âme lorsque, répandant les nuages de l'ivresse sur les- commencements et sur la fin du jeûne, nous nous privons de tout le fruit que nous pourrions en recueillir. Les hommes qui combattent contre les bêtes féroces ont soin de bien munir les parties principales de leurs corps, afin d'attaquer avec moins de risque ces terribles animaux; ainsi maintenant plusieurs d'entre nous, comme s'ils allaient combattre dans le jeûne un animal féroce, se fortifient contre lui, et se munissent par les excès du boire et du manger. Les insensés ! ils obscurcissent et abrutissent leur raison par l'ivresse pour recevoir le jeûne, dont l'œil est doux et tranquille. Si je fais cette demande à un de ces hommes : Pourquoi courez-vous aujourd'hui au bain? il me répondra: C'est pour recevoir le jeûne avec un corps pur. Si je lui demande ensuite: Pourquoi vous enivrez-vous aujourd'hui? C'est, dira-t-il, parce que je vais entrer dans le jeûne. Mais n'est-il donc pas absurde de se préparer à cette fête du jeûne avec un corps purifié par l'eau et un coeur souillé par la débauche?

Je pourrais m'étendre davantage sur ce sujet; mais j'en ai dit assez pour ramener les personnes sages. Je termine donc ici mon discours , d'autant plus que je désire d'entendre notre père commun. Nous, comme de simples bergers, assis à l'ombre d'un hêtre ou d'un chêne, nous chantons des airs rustiques sur un chalumeau champêtre; au lieu que notre saint pontife, semblable à un excellent musicien qui enlève tous les spectateurs par les accords sublimes qu'il sait tirer de sa lyre d'or, nous charme et nous instruit tous, moins par l'harmonie des paroles que par le concert heureux des actions et des discours. Tels sont les maîtres que demande Jésus-Christ : Celui qui fera, dit-il, et qui enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. ( Matth. V, 19.) Tel est notre Maître; aussi est-il grand dans le royaume des cieux ! Puissions-nous, grâce à ses prières et à celles de ses pieux coopérateurs, être jugés dignes nous-mêmes du royaume céleste par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

 

SIXIÈME HOMÉLIE. Prononcée la quatrième semaine de la sainte Quarantaine.

ANALYSE.

1° L'assemblée est nombreuse ; de cette circonstance l'orateur tire un poétique et brillant exorde. — Le jeûne ne sert de rien à ceux qui ne s'abstiennent pas de péché en même temps que de nourriture. — Il ne sert de rien de jeûner lorsqu'on fréquente les théâtres, sortie éloquente contre les théâtres. — 2° On ne peut guère mettre le pied an théâtre sans commettre l'adultère, car quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. — 3° Ce précepte n'est-il pas bien difficile? Non, Dieu ne commande rien d'impossible. — 4° Que l'ancienne loi et la nouvelle émanent d'un seul et même législateur. — Prophétie de Jérémie qui le prouve. — 5° La même vérité prouvée par une prophétie de fait ou par une figure. — Dans le sermon sur la montagne, il rapproche la loi ancienne et la loi nouvelle pour montrer que celle-ci ne contredit pas, mais parfait celle-là.

1. Que j'ai de plaisir à contempler les vagues émues de cette mer spirituelle et vivante qui m'entoure; non, l'Océan lui-même n'offre pas de spectacle si beau. Les flots de l'Océan s'agitent sous le souffle et la violence des vents, et ceux de cette multitude fidèle, par le désir impétueux d'entendre les enseignements divins. Ceux-là, en s'amoncelant, jettent le pilote dans l'angoisse ; ceux-ci, à mesure qu'ils paraissent, augmentent le courage et la confiance de l'orateur. Les uns sont l'effet de la fureur des éléments ; les autres, l'indice de la joie des âmes. Les uns en se brisant contre les rochers ne donnent qu'un bruissement sourd et tout matériel ; les autres frappés par la parole doctrinale y répondent d'une voix amie et sympathique.

Lorsque le zéphir, de sa tiède haleine, souffle sur les moissons, tous les épis ensemble s'inclinent et se relèvent tour à tour, et ainsi balancés ils reproduisent sur la terre l'image des ondulations de la mer. Ce spectacle est encore moins agréable que celui qui charme en ce moment mes yeux. Ici, en effet, au lieu du zéphir, c'est la grâce de l'Esprit-Saint qui soulève et échauffe vos âmes; ce qui agit sur vous, c'est ce feu dont le Christ autrefois disait : Je suis venu mettre le feu à la terre, et que désiré-je sinon qu'elle brûle ? (Luc, XII, 49.) Ce feu, je le vois bien, a été mis dans vos âmes et il les brûle.

Puisque la crainte de Jésus-Christ a allumé dans nos âmes tant de lampes luisantes, versons-y l'huile de la doctrine afin que la lumière qu'elles nous donnent s'entretienne et dure pour notre bien. Le temps du jeûne se hâte vers son terme; nous voici, arrivés au milieu du stade, désormais nous ne nous arrêterons plus qu'au terme. S'il est vrai de dire que qui s'est mis en route est déjà au milieu de la course, (304) il ne l'est pas moins de dire que qui est au milieu touche déjà au terme. Le temps du carême se hâte donc vers sa fin, et déjà la barque navigue en vue du port; toutefois l'essentiel, ce n'est pas tant d'arriver au port, que d'aborder au rivage avec un vaisseau qui ne soit pas vide, mais chargé d'une riche cargaison. Je vous prie tous et je vous conjure de descendre dans votre conscience, de calculer ce que le jeûne vous a déjà rendu de profit, et, si la somme en est considérable, de redoubler d'activité pour la grossir; si elle est petite et presque nulle, d'employer le temps qui vous reste à réparer le temps perdu. Tant que le marché reste ouvert, il y a possibilité de réaliser un gain considérable par un actif négoce; profitons de l'occasion pour ne pas nous en aller les mains vides, et privés des fruits du jeûne après en avoir supporté la peine. Car, n'en doutez pas, on peut supporter la peine du jeûne et n'en pas recueillir la récompense. Et comment cela? Par exemple lorsque nous nous abstenons bien de nourriture, mais non pas de péché; lorsqu'à la vérité nous ne mangeons pas de viande, mais que nous dévorons les maisons des pauvres; lorsque nous ne nous enivrons pas de vin, mais que nous nous enivrons de mauvais désirs; lorsque nous passons tout le jour à jeûn, mais que tout le jour aussi nous repaissons nos yeux de spectacles impurs. Nous soutenons le poids du jeûne sans en recueillir les avantages lorsque nous montons à ces lieux de dépravation qu'on appelle théâtres. Ce n'est pas vous que ce reproche regarde, je sais que vous êtes innocents de cette sorte de prévarication, mais c'est la coutume que les gens qui sont fâchés fassent retomber leur mauvaise humeur sur les personnes présentes, lorsqu'ils ne peuvent saisir les coupables. Que peut-on gagner au jeûne lorsqu'en s'y adonnant on continue de fréquenter le théâtre, cette commune école de luxure, ce gymnase public d'impureté, lorsqu'on va s'asseoir dans la chaire de pestilence? Oui, chaire de pestilence, gymnase d'impureté, école de luxure; voilà ce qu'il est à mes yeux votre théâtre, et je ne crains pas d'user de termes trop forts lorsque je qualifie de la sorte ce lieu infâme, ce réceptacle hideux de tous les vices, cette fournaise babylonienne. C'est bien une fournaise en effet que le théâtre; le diable y entasse les habitants de la ville, puis il y met le feu; et il ne l'alimente pas, comme ce roi barbare dont parle l'Ecriture avec des sarments, du naphthe, des étoupes, de la résine; non, il sait trouver des matières encore plus dangereuses, telles que regards impudiques, paroles honteuses, attitudes voluptueuses, chants lascifs et dissolus. Des mains barbares mirent le feu à la fournaise mentionnée dans l'Ecriture, mais celle dont je vous parle est allumée par des pensées plus coupables et plus insensées que toute barbarie. Celle-ci est pire que l'autre, puisque le feu en est plus funeste. C'est un feu qui ne consume pas la substance du corps, mais qui dévore la félicité de l'âme : ce qu'il y a de plus terrible, c'est qu'il ne se fait pas sentir à ceux qu'il brûle; s'il était aussi douloureux qu'il est funeste, ces éclats de rire qui retentissent au théâtre n'auraient guère lieu. La pire des maladies est celle qui mine un patient sans qu'il s'en doute, le feu le plus à craindre est bien aussi celui qui consume sans être aperçu. A quoi peut vous servir le jeûne, lorsque privant votre corps d'une nourriture permise en soi, vous repaissez votre âme d'une nourriture essentiellement mauvaise? Lorsque vous restez assis durant tout un jour occupé à regarder la nature humaine livrée à l'ignominie et publiquement insultée dans la personne de ces prostituées de théâtre, de ces comédiens, obligés, par le métier qu'ils font, de représenter l'adultère, et de ramasser toutes les souillures de l'espèce humaine. Ils n'épargnent pas plus le blasphème aux oreilles que les fornications aux yeux ; il faut que le poison pénètre dans l'âme par toutes les avenues ; ils représentent les catastrophes arrivées aux autres : de là le nom qu'ils portent, et qui exprime leur honte. Quelle sera donc l'utilité du jeûne pour des personnes qui nourrissent leur âme de ces poisons? De quels yeux regarderez-vous votre femme au retour de ces spectacles? De quels yeux regarderez-vous votre fils, de quels yeux votre serviteur, de quels yeux votre ami? Il vous faudra ou vous couvrir de honte en racontant ce que vous y avez vu, ou garder un silence qui témoignera de votre confusion. Ce n'est pas là ce qui vous arrive au sortir de l'église; tout ce que vous y avez entendu, vous pouvez le rapporter à votre famille avec un coeur satisfait : oracles prophétiques, dogmes apostoliques, préceptes sortis de la bouche même du Seigneur, voilà ce que vous remportez d'ici, voilà de quoi composer un repas spirituel pour la nourriture des âmes dans (305) votre maison, de quoi rendre votre femme plus modeste, votre fils plus sage, votre serviteur plus fidèle, votre ami plus dévoué, votre en-. nemi même plus disposé à oublier ses rancunes.

2. Vous le voyez, d'une part ce sont des enseignements toujours salutaires, de l'autre rien que des bagatelles qui flattent l'oreille au détriment du cœur. De quelle utilité, dites-moi, vous sera le jeûne, si, tandis que vous jeûnez de l'estomac, vous commettez l'adultère par les yeux? Car, sachez-le bien, l'adultère peut exister sans l'union charnelle, et par la seule impudicité du regard. Que vous sert de venir ici, si vous allez là? Je vous instruis, moi, et un vil comédien vous corrompt; je combats votre maladie par le remède de ma parole, et il en active, lui, le principe funeste; je m'efforce d'éteindre en vous les feux de la nature, et lui, il souffle en vous les flammes du libertinage. Encore une fois quel fruit retirez-vous de votre jeûne ainsi que de nos instructions? Si l'un bâtit et que l'autre détruise, que gagneront-ils que de la peine? (Eccli. XXXIV, 28.) Ainsi ne fréquentons pas à la fois l'église et le théâtre, mais seulement l'église, si nous ne voulons que tout le fruit que nous faisons à l'église soit en pure perte, et que notre vie aboutisse en fin de compte à la damnation éternelle; Car, si l'un bâtit et que l'autre détruise, que gagneront-ils que de la peine? Ajoutons que c'est chose si facile de détruire, qu'un seul qui détruirait l'emporterait sur un grand nombre qui s'efforceraient de bâtir.

C'est une grande honte pour des jeunes gens, pour des vieillards, de se livrer à cette passion du théâtre. Et plût à Dieu qu'ils en fussent quittes pour la honte ! mais hélas! la honte, si redoutée des personnes bien nées, si insupportable aux hommes de coeur, n'est que le prélude d'une vengeance plus terrible et d'un plus affreux supplice. Tout ce qui s'asseoit sur les gradins des théâtres sera nécessairement pris dans les filets de l'adultère, non pour s'être uni charnellement à ces comédiennes, mais pour les avoir seulement regardées avec des yeux impudiques. Cela suffit, je vous en donne pour garant, non ma parole dont vous pourriez mépriser le peu d'autorité, mais une loi portée par Dieu même, et quand Dieu parle qui oserait contredire ? Quelle est donc cette loi divine? La voici dans son texte authentique : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens, vous ne commettrez pas l'adultère; et moi je vous dis, quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà consommé l'adultère dans son coeur. (Exod. XX, 14; Matt. V, 27, 28.) Vous le voyez, il s'agit d'un adultère consommé, d'un péché complet, et ce qu'il y a de plus terrible, c'est au tribunal, non d'un homme, mais de Dieu, que le coupable est convaincu et comptable de ce crime d'adultère; or, les peines qu'inflige ce tribunal sont éternelles. Quiconque a regardé une femme pour la convoiter a déjà consommé l'adultère dans son coeur. Ce n'est pas seulement le mal, mais jusqu'à la racine du mal qu'il retranche; car la racine de l'adultère, c'est la convoitise impudique : le Seigneur corrige donc non-seulement l'adultère, mais aussi la convoitise. Les médecins s'en prennent à la cause de la maladie autant qu'à la maladie elle-même; dans une maladie d'yeux par exemple, c'est sur les tempes qu'ils agissent pour combattre l'humeur qui affecte l'organe de la vue. C'est aussi ce que fait Jésus-Christ.

C'est une ophthalmie bien mauvaise que la luxure; affection non des yeux du corps, mais des yeux de l'âme; c'est pourquoi le Seigneur en supprime la source impure par la crainte de la loi, c'est pourquoi il punit non-seulement l'action, mais jusqu'au désir. Déjà il a consommé l'adultère dans son cœur. Le coeur une fois corrompu, de quoi sert-il que le reste du corps demeure pur? Lorsque le cœur d'une plante, d'un arbre est pourri, peu nous importe le reste; de même dans l'homme, quand cette partie maîtresse est atteinte, ce n'est plus rien que le bon état du reste du corps. Voilà le cocher renversé, écrasé, mort; en vain courront après cela les chevaux. C'est une loi sévère et d'un difficile accomplissement, j'en conviens; mais aussi la couronne est glorieuse à proportion. Il n'y a que les oeuvres laborieuses qui mènent aux belles récompenses. Pour vous, ne faites pas attention à la peine, ne voyez que la récompense. C'est ce qui se fait dans les choses de cette vie. Si vous envisagez la peine que coûtent les succès en tout genre, vous dites c'est ardu, c'est difficile; mais si vous regardez la récompense, tout vous semble uni et facile. Le pilote, s'il ne regardait que les flots, n'aurait jamais le cœur de faire sortir son vaisseau du port; mais il considère le gain plus que les flots, et il ose affronter la haute mer et ses abîmes. S'il n'avait devant les yeux que les (306) blessures et la mort du champ de bataille, le soldat ne revêtirait jamais la cuirasse; mais s'il se représente les trophées et les victoires plus que les blessures, il courra à la bataille comme à un rendez-vous de jeu et de plaisir; si pénible que soit naturellement une entreprise, elle devient aisée à ceux qui font attention, non à la peine, mais à la récompense. En voulez-vous la preuve? écoutez saint Paul: Les tribulations momentanées et légères de la vie présente opèrent en nous le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire. (II Cor. IV, 47.) C'est là une énigme. Si l'Apôtre a raison de dire tribulations, comment peut-il dire légères? si légères est vrai, comment tribulations le sera-t-il? Ces termes s'excluent mutuellement. Mais cette énigme, nous en trouvons le mot dans ce qu'ajoute saint Paul pour nous montrer ce qui rend légères même les tribulations : En nous qui ne considérons pas seulement les choses visibles. Il nous a mis la couronne sous les yeux, et les difficultés du combat se sont évanouies; il a montré le prix, et l'athlète au milieu de ses sueurs s'est trouvé consolé. Vous apercevez une femme dont les grâces naturelles sont encore relevées par l'éclat de la parure : la concupiscence éveillée en vous à cette vue vous fait ressentir les premiers frémissements de la volupté; elle veut s'assouvir de ce spectacle : hâtez-vous de regarder en haut vers la couronne qui vous est réservée, vous n'aurez plus aucune peine à fermer les yeux sur un objet si dangereux. Celle que vous avez aperçue, c'est une servante de Dieu comme vous, pensez au commun Maître, et vous étoufferez le mal à sa naissance. Si des enfants, sous les yeux de leur maître d'école, n'osent se livrer à la dissipation ni à la paresse, ou à la torpeur, à plus forte raison Jésus-Christ présent à votre pensée produira-t-il sur vous le même effet salutaire. Celui qui regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. (Matt. V, 28.) J'éprouve du plaisir à redire souvent les paroles de la loi. Puissé-je tout le jour vous répéter les mêmes paroles, ou plutôt non à vous, mais à ceux qui sont esclaves de ce péché ! Mais je me trompe encore et je devrais dire à vous aussi bien qu'à eux; car vous qui êtes forts vous le deviendriez davantage; et ceux qui sont malades reviendraient à la santé. Celui qui regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur.

3. Ces paroles toutes seules suffiraient pour purifier vos âmes de la corruption du péché. Pardonnez-moi, je panse les plaies de vos coeurs, et celui qui panse des plaies est obligé d'user de remèdes amers; et ces paroles, on ne peut trop vous les répéter, puisque plus on le fait plus on expulse le venin du mal. Elles sont pour vous ce que le feu est pour l'or; plus le feu agit sur l'or, plus il le débarrasse des scories; de même plus ces redoutables paroles feront d'impression sur vous, plus elles vous purifieront de l'alliage impur du vice. Ce vice, faisons-le dès ici-bas passer par le feu de la parole doctrinale, pour qu'il ne nous entraîne pas nous-mêmes au feu de l'enfer. L'âme qui partira pure de ce monde n'aura pas à craindre le feu éternel, mais celle qui sortira de ce monde souillée de péchés sera immédiatement jetée dans ce feu-là. L’oeuvre de chacun sera éprouvée par le feu, dit l'Apôtre. (I Cor. III, 13.) Eprouvons-nous dès maintenant sans douleur, pour ne pas être alors éprouvés dans la douleur.

Quoi que vous puissiez dire, objecte-t-on, c'est une loi bien dure. — Que voulez-vous dire? Dieu nous commande-t-il l'impossible? Je réponds que non. Taisez-vous, plutôt que de blasphémer contre Dieu; parler ainsi ce n'est pas se justifier, c'est aux péchés anciens en ajouter un nouveau et un plus grave. Malheureusement c'est assez l'habitude des pécheurs de rejeter leurs fautes sur Dieu. A ce propos, écoutez une parabole : Vint alors celui à qui on avait confié cinq talents, et il en apporta cinq autres; vint ensuite celui à qui on en avait confié deux, et il en apporta deux autres; vint enfin celui à qui l'on n'avait confié qu'un talent, et n'ayant pas de talent à présenter, au lieu de talent ce fut une parole d'accusation qu'il apporta. Que dit-il? Je sais, dit-il, que vous êtes un homme dur. (Matth. XXV, 24.) O serviteur effronté ! il ne lui suffit pas d'avoir péché, il faut encore qu'il injurie son Maître: Vous reprenez, ajoute-t-il, ce que vous n'avez pas déposé, vous moissonnez où vous n'avez pas semé. (Luc, XIX, 21.) Voilà le type de ceux qui ne font rien de bon dans la vie présente, ils aggravent leurs maux de tout le poids des accusations qu'ils lancent contre la divine Providence. Cessez donc d'accuser le Seigneur, il ne commande pas l'impossible. Voulez-vous vous en convaincre? regardez ceux qui vont volontairement au delà de ses commandements : le (307)

feraient-ils, si ces commandements dépassaient la mesure de ce qui est possible aux hommes? Il ne commande pas la virginité et beaucoup s'y astreignent. Il n'a pas défendu la possession des biens de ce monde, et néanmoins plusieurs se défont des leurs, témoignant parleur conduite de la facilité des préceptes. Verrions-nous tant d'oeuvres surérogatoires, si les couvres prescrites étaient si difficiles ? Il ne prescrit pas la virginité, il ne fait que la conseiller. Prescrire, c'est imposer le joug de la loi aux volontés même récalcitrantes; au contraire, conseiller, c'est laisser libre de faire ou de ne pas faire sans qu'il y ait de peine à encourir si l'on ne fait pas. C'est pourquoi saint Paul dit : Je n'ai pas de précepte du Seigneur touchant les vierges; mais je donne un conseil. (I Cor. VII, 25.) Vous l'entendez,. l'Apôtre s'exprime clairement: il distingue entre le commandement et le conseil, entre le précepte et l'exhortation. La différence est grande : l'un est de nécessité, l'autre de choix. Je n'impose pas, semble-t-il dire, pour ne pas surcharger; j'avertis, je conseille pour attirer.

Jésus-Christ non plus n'a pas dit : restez tous vierges; s'il eût fait une loi à tous d'être vierges, si la virginité était de devoir strict, ceux qui la pratiquent ne seraient pas honorés comme ils sont, et ceux qui ne s'y conforment pas encourraient les plus sévères châtiments. Voyez-vous comment le Législateur divin nous épargne ? comment il prend soin de notre salut? Ne pouvait-il porter cette loi et dire : quiconque observera la virginité sera honoré, et quiconque ne l'observera pas sera puni ? Mais t'eût été surcharger la nature, il a épargné notre faiblesse. La virginité n'est pas une carrière où tous les hommes soient tenus de courir, c'est une lice à part où se livrent des combats d'un ordre supérieur; ceux qui s'y rendent y montrent avec avantage leur grande âme, ceux qui refusent d'y entrer peuvent compter sur l'indulgence du Maître. Autant pourrais-je en dire de la pauvreté, il la conseille, il ne l'impose pas. Il ne dit pas absolument : vends tes biens, mais si tu veux être parfait, va et vends tes biens. (Matth. XXIX, 21.) C'est à toi à choisir, tu es le maître : je ne te contrains pas, je ne t'impose rien : si tu le fais, je te couronnerai, si tu ne le fais pas, je ne te punirai point. Les oeuvres qui sont de commandement et de strict devoir ne méritent que des récompenses ordinaires; mais les couvres de surérogation et de conseil procurent des couronnes d'une beauté exceptionnelle. Là-dessus j'invoque le témoignage de saint Paul : Si l'évangélise, dit-il, je n'ai pas à m'en glorifier; pourquoi ? parce que c'est un devoir qui m'est imposé. Car malheur à moi si je n'évangélise! (I Cor. IX, 16.) Vous l'entendez, celui qui accomplit strictement la loi n'obtient pas une bien large récompense: c'est pour lui une obligation; mais celui qui n'accomplit pas la loi est passible de châtiment et de correction : Malheur à moi si je n'évangélise ! Il en est autrement des couvres qui ne sont soumises à aucune obligation, et que la seule bonne volonté pousse à pratiquer. Ecoutez encore comment saint Paul s'en explique. Quelle est donc ma récompense? C'est de prêcher l'Evangile gratuitement, sans user du droit que j'ai par la prédication de l'Evangile. (I Cor. IX, 18.) Ainsi donc modique récompense pour le devoir strictement rempli, et rémunération abondante pour les oeuvres facultatives et de bonne volonté.

4. Ces développements ont leur utilité; ils prouvent, si je ne me trompe, que la loi divine n'est ni accablante, ni intolérable, ni pénible, ni surtout impossible. Mais servons-nous encore des paroles de Jésus-Christ pour répandre un plus grand jour sur cette question. Celui qui regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. (Matth. V, 28.) Jésus-Christ a prévu les murmures qui s'élèveraient contre la difficulté de la loi; c'est pourquoi il ne la propose pas purement, simplement et isolément; mais il rappelle la loi ancienne, et la comparaison qu'il provoque fait ressortir, et la facilité de la nouvelle loi, et la bonté du législateur qui la promulgue. Comment cela, faites attention et vous comprendrez. Il ne dit pas simplement: Celui qui a regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. Ici redoublez votre attention; mais il a eu soin auparavant de faire souvenir de la loi ancienne; il a dit : Vous savez qu'il a été dit aux anciens : Vous ne commettrez pas l'adultère; et moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. Voilà les deux lois en présence, l'ancienne et la nouvelle: celle qu'établit Moïse, et celle qu'introduit Jésus-Christ , ou plutôt le Christ est l'auteur de toutes deux, car c'est lui qui a parlé par Moïse. Comment prouverons-nous que (308) l'auteur de la loi ancienne est le même que celui de la nouvelle? Jean ni les autres apôtres ne peuvent me prêter leur témoignage, car les juifs que je prétends combattre, les récuseraient; j'emprunterai celui des prophètes que les Juifs n'oseront rejeter; c'est par les prophètes que je leur montrerai que l'ancienne et la nouvelle loi émanent d'un seul et même législateur.

Que dit Jérémie? Je ferai avec vous un Testament nouveau. (Jérém. XXXI, 31.) Voilà le Nouveau Testament nommé dans l'Ancien. De quel éclat ne brille pas ce nom prononcé si longtemps à l'avance? Je ferai avec vous un Testament nouveau. Mais où trouverons-nous la preuve que c'est lui-même qui a aussi donné l'Ancien Testament? Après avoir dit : Je ferai avec vous un Testament nouveau, le prophète ajoute : Non selon le Testament que j'ai fait avec vos pères. (Jérém. XXXI, 32.) Voilà les paroles de Jérémie. Mais précisons davantage; voyons toutes les difficultés pour les résoudre, dissipons tous les nuages, concentrons sur la question toutes les lumières de l'évidence, ne laissons pas de prise à l'impudence. Je ferai avec vous un Testament nouveau, non selon le Testament que j'ai fait avec vos pères. Il fit un Testament, une alliance avec Noé après le déluge, pour délivrer le genre humain des craintes continuelles que lui aurait inspirées, à la vue des pluies, le souvenir du cataclysme universel. C'est pourquoi il dit : Je ferai une alliance avec toi et avec toute chair. (Gen. IX, 9.) Il fit encore avec Abraham le Testament ou l'alliance de la Circoncision. Une autre alliance fameuse est celle qu'il fit avec les Israélites par Moïse. Jérémie dit : Je ferai avec vous une alliance nouvelle, non selon l'alliance que j'ai faite avec vos pères. De quels pères s'agit-il? Noé était père, Abraham était père. De quels pères parle donc le prophète ? L'indétermination des personnes engendre la confusion. Renouvelez votre attention. Non selon l'alliance que j'ai faite avec vos pères. Vous ne pouvez pas dire que le prophète parle ici seulement des alliances faites avec Noé et Abraham ; non, Jérémie a prévenu l'objection ; car après avoir dit : Je ferai une alliance nouvelle avec vous, non selon l'alliance que j'ai faite avec vos pères, il ajoute la circonstance du temps qui est décisive dans cette discussion, au jour où je les ai pris par la main, pour les retirer de la terre d'Égypte.

Voyez-vous quelle lumière jaillit de cette détermination du temps? Un juif même ne pourrait plus contredire notre conclusion : voyez le temps, comprenez de quelle législation il s'agit : Au jour où je les ai pris par la main. Pour quelle raison indique-t-il donc jusqu'au mode de la sortie d'Égypte : Je les ai pris par la main, dit-il, pour les tirer de la terre d'Égypte? c'est pour montrer la tendresse paternelle de Dieu pour Israël. Ce n'est pas comme esclave qu'il le traite à la sortie d'Égypte; il le délivra avec le même soin qu'un père tendre aurait eu pour son enfant; il ne le fit pas marcher derrière comme un serviteur, mais il le prit par la main comme un fils bien né et libre, et c'est ainsi qu'il le tira de la servitude. Voilà donc deux alliances, deux législations et un seul législateur. Je vais vous démontrer la même chose par le Nouveau Testament, afin que vous voyez l'accord des deux Testaments ou alliances. Je viens de vous citer une prophétie en paroles, voici maintenant une prophétie en figures. Mais qu'est-ce qu'une prophétie en paroles? et qu'est-ce qu'une prophétie en figures? Deux mots là-dessus. La prophétie en figures est celle qui parle par les faits; la prophétie en paroles est celle qui se fait de bouche. Celle-ci s'adresse aux gens instruits, l'autre ouvre les yeux des ignorants par l'éclat des faits. Comme un grand événement devait s'accomplir, comme Dieu devait prendre notre chair, que la terre devait devenir le ciel, que notre nature devait être élevée à une dignité plus sublime que celle des anges, que l'annonce des biens à venir surpassait toute espérance et toute attente, si un tel prodige fût arrivé soudain, et sans préparation, il eût jeté le trouble chez ceux qui en auraient vu ou appris la réalisation; c'est pourquoi Dieu l'a préfiguré et prédit longtemps d'avance, employant les faits et les paroles pour habituer les oreilles et les yeux, et préparant de longue main les grandes choses qu'il avait résolu d'accomplir. Or cette préparation s'est faite par les prophéties, prophéties en figures, prophéties en paroles, les uns s'exprimant par des faits, les autres par des mots. Voulez-vous des exemples de ces deux sortes de prophéties, se rapportant au même objet : Il a été conduit comme une brebis au sacrifice, et il a été comme un agneau devant celui qui le tond. (Isai. LIII, 7.) Voilà une prophétie en paroles. Lorsque Abraham eut délié Isaac, alors il vit un bélier attaché (309) par les cornes, il le prit et l'immola; ce sacrifice était une figure de celui par lequel Jésus-Christ nous a sauvés.

5. Mais ces deux Testaments, voulez-vous que je vous les montre prédits figurativement ? Vous avez entendu le prophète Isaïe désigner symboliquement le divin sacrifice par le terme de brebis, voici un nouvel exemple de prophétie par les faits. Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi. (Gal. IV, 21.) Remarquez en passant la justesse de l'expression dont se sert l'Apôtre : qui voulez; c'est qu'en effet les Galates n'étaient pas sous la loi mosaïque ; au reste quand même ils auraient été sous la loi, il eût encore été vrai de dire qu'ils n'étaient pas sous la loi. C'est là une énigme, dites-vous, elle s'explique facilement. Est-ce que la loi mosaïque n'avait pas dès lors transmis de droit à Jésus-Christ tous ses sectateurs? Mépriser le Christ qui est le Maître par excellence, n'était-ce pas aussi mépriser Moïse qui avait enseigné provisoirement en attendant l'arrivée du Maître. C'est pourquoi l'Apôtre s'exprime ainsi : Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point ce que dit la toi, c'est-à-dire qu'Abraham eut deux fils, l'un de l'esclave, et l'autre de la femme libre... Tout ceci est une allégorie. Voilà donc un fait prophétique, car c'est là un fait et non une parole que ce double mariage d'Abraham. Une prophétie orale vous a montré que les deux alliances sont d'un seul et même législateur, comme la femme esclave et la femme libre sont du même époux: vous allez l'apprendre une fois de plus par une prophétie figurative. Abraham eut deux femmes voilà les deux alliances, et voilà le législateur commun de ces deux alliances. De même que tout à l'heure vous avez vu paraître deux fois la brebis, d'abord dans une prophétie orale, puis dans une prophétie figurative, et que vous avez remarqué entre la figure et la parole une harmonie parfaite, de même en est-il à l'égard des deux alliances. Jérémie les a prédites oralement, et Abraham les a préfigurées dans les actions de sa vie, par les deux femmes qu'il a épousées. Ici, nous voyons un mari et deux épouses, là un législateur et deux alliances.

Mais revenons au texte dont l'éclaircissement a nécessité toute cette discussion, car il ne faut pas perdre notre sujet de vue : Celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur. Voilà ce que nous expliquions, et nous nous demandions pourquoi Jésus-Christ établissait ici une comparaison entre la loi ancienne et la loi nouvelle en disant: Vous savez qu'il a été dit aux anciens : Vous ne commettrez pas l'adultère. Il savait que la difficulté du commandement tenait moins à la nature de la chose commandée qu'à la paresse de ceux à qui il l'adressait. Beaucoup de choses faciles en elles-mêmes deviennent difficiles par notre manque d'énergie; au contraire une résolution énergique fait trouver légères et faciles certaines choses qui d'elles-mêmes sont assez difficiles. La difficulté gît moins dans la nature des choses que dans la disposition des hommes. Par exemple, le miel est doux et agréable de sa nature; mais les malades le trouvent amer et désagréable, ce qui vient évidemment de la mauvaise disposition où ils sont et non de la nature de cet aliment. Il en est de même de la loi : douce et facile par elle-même, elle ne nous semble rude et pénible que parce que nous sommes mous et lâches. Je n'aurai pas beaucoup de peine à démontrer la facilité de la loi en question: le législateur l'eût rendue difficile s'il l'avait autrement posée. Que dit-il en effet? fuyez la vue de la femme, éloignez-vous de la luxure; pour la rendre difficile, il eût fallu dire au contraire, recherchez les femmes, regardez curieusement leurs attraits, et néanmoins restez maîtres de votre passion. Voilà ce qui eût été difficile; mais dire : fuyez la fournaise, éloignez-vous du feu, ne touchez pas à la flamme, si vous ne voulez pas être brûlés, c'est commander une chose très-facile, et conforme à la nature.

Vous savez qu'il a été dit aux anciens, vous ne commettrez pas l'adultère. Pourquoi donc, au moment d'introduire une loi nouvelle, le Seigneur nous remet-il en mémoire la loi ancienne? c'est afin de montrer par la comparaison qu'il n'y a pas d'opposition entre ces deux lois : le rapprochement suffit pour montrer jusqu'à l'évidence le jugement qu'il faut porter sur ce sujet. Il savait qu'il ne manquerait pas de gens pour lui reprocher d'opposer la loi à la loi, et pour les prévenir, voilà, semble-t-il dire, les deux lois en face l'une de l'autre: regardez et voyez l'harmonie qui règne entre elles. Il avait une autre raison: il voulait montrer tout ensemble la facilité et l'opportunité de la loi qu'il promulguait. Voilà pourquoi il dit : Vous savez qu'il a été dit aux anciens vous ne commettrez pas l'adultère. Il y a assez (310) longtemps que vous pratiquez la loi ancienne. Le Seigneur en use à l'égard de ses auditeurs comme un maître à l'égard d'un disciple paresseux et qui ne voudrait pas changer d'exercices; pour porter l'enfant à des études plus hautes, ce maître lui dirait: songe depuis combien de temps déjà cette étude te retient. De même lorsque le Christ rappelle aux Juifs la législation de leurs pères par ces paroles: Vous savez qu'il a été dit aux anciens, vous ne commettrez pas l'adultère, c'est afin de leur faire comprendre que la loi ancienne les a bien assez arrêtés par ses observances, et qu'il est temps de s'élever à un genre de vie nouveau et plus parfait. Voilà ce qui a été dit aux anciens; et moi je vous dis, à vous, non aux anciens qui auraient pu se plaindre par la raison que la nature humaine était encore trop imparfaite alors; mais à vous qui vivez dans un âge où le genre humain, par suite des progrès qu'il a faits, réclame des enseignements plus relevés et plus parfaits. Par la même raison, avant d'établir cette comparaison entre sa loi et celle qui avait été donnée aux anciens, pour que personne ne soit découragé par la sublimité de la nouvelle loi, il dit: Si votre justice n'abonde plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. (Matth. V, 20.) Vous exigez de moi une chose plus laborieuse, pouvait-on lui dire, pourquoi cela? Est-ce que je ne suis pas de la même nature qu'eux? Est-ce que je ne suis pas un homme tout comme eux? C'est pour prévenir ces récriminations : pourquoi ajouter à notre fardeau? pourquoi nous exposer à des combats plus rudes? c'est pour couper court à l'objection qu'il a eu soin de parler d'abord du royaume des cieux. C'est comme s'il disait: si j'ajoute aux labeurs, si je veux des luttes plus sérieuses, je propose aussi des récompenses plus brillantes. Ce n'est plus la Palestine que je promets, il ne s'agit plus d'une terre où coulent le lait et le miel: c'est le ciel même que je mets à votre disposition. Mais si nos bonnes actions nous valent de plus grandes récompenses, par contre, nos prévarications nous exposent à des supplices plus terribles. Les hommes qui vivent en dehors de la loi seront moins sévèrement jugés que ceux qui vivent sous la loi. Ceux, dit l'Apôtre, qui auront péché sans la loi, périront sans la loi. (Rom. II,12.) C'est-à-dire ne seront pas accusés par la loi; mais, dit le Seigneur, je consulterai la nature pour porter contre eux ma sentence; les pensées même de leurs coeurs feront l'office d'accusateur et de défenseur, et en juge impartial je prononcerai l'arrêt. De même ceux qui pèchent sous la grâce subiront un châtiment plus sévère que ceux qui ont failli sous la loi. (Rom. II, 15.) Saint Paul montre cette différence, lorsqu'il dit: Celui qui viole la loi de Moïse est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien plus affreux, pensez-vous, sont les supplices que mérite celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu; qui aura tenu pour vil le sang de l'alliance dans lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l'Esprit de la grâce? (Hébr. X, 28-29.)

Vous le voyez, si les récompenses sont plus grandes sous la grâce, il en est de même des châtiments. Mais puisque je viens, en citant saint Paul, de vous faire souvenir des plus augustes et des plus redoutables mystères, je vous en supplie, je vous en conjure avec toute l'ardeur dont je suis capable, ne vous approchez de la table sainte et terrible qu'après vous être purifiés de tous vos péchés. Recherchez la paix avec tous, vous dirai-je avec saint Paul, et la sainteté sans laquelle personne. ne verra Dieu. (Hébr. XII, 14.) Or, celui qui n'est pas digne de voir Dieu, ne l'est pas non plus de participer au corps du Seigneur. C'est pourquoi saint Paul dit : Que l'homme s'éprouve d'abord et qu'il mange ensuite de ce pain, et boive de ce calice. (I Cor. XI, 18.) Il ne s'agit pas de découvrir sa plaie aux yeux de tous, de. monter sur un théâtre afin de s'y accuser, ni d'initier tout un public à la connaissance de vos misères. C'est dans le sanctuaire de votre conscience, sans autre témoin que Dieu qui voit tout, que vous avez à vous juger vous-mêmes, à rechercher vos fautes, à passer en revue toute votre vie, pour la soumettre au tribunal de ce juge intime, pour ensuite redresser vos errements, et avec une conscience ainsi purifiée venez vous asseoir à la table sainte, et prendre votre part de la divine victime. Gardez ces enseignements au fond de votre âme, souvenez-vous de ce que nous vous avons dit touchant la luxure, du châtiment sévère réservé à ceux qui fixent sur une femme d'impudiques regards; ayez devant les yeux la crainte et l'amour de Dieu encore plus que les tourments de l'enfer. Purifions nos âmes par tous les moyens à notre disposition, (311) et alors approchons-nous des saints mystères, afin que nous les recevions, non pour notre jugement et notre damnation, mais pour le salut et la santé de notre âme, et comme un gage certain de ce salut, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. JEANNIN.

 

 

SEPTIÈME HOMÉLIE. De la pénitence ; — de la componction ; — que Dieu est prompt à sauver, lent à punir ; histoire de Rahab.

ANALYSE.

1° La pénitence est le creuset du péché. Une des raisons de l'admirable patience de Dieu envers les pécheurs, c'est que d'une mauvaise racine il sort quelquefois de beaux et bons fruits ; exemple, Job descendait d'Esaü. — 2° Une autre raison d'épargner longtemps les pécheurs, c'est qu'ils peuvent se convertir, et afin qu'ils le fassent, Dieu est sévère aux justes et doux aux pécheurs. — 3° Développement de la même pensée. C'est pour le plus grand bien de tous que Dieu se montre indulgent pour les pécheurs et sévère pour les justes. — 4° Il faut se souvenir de ses péchés bien qu'effacés, pour ne plus retomber dans de nouveaux péchés; c'est la disposition du coeur, et non la longueur du temps qui fait la pénitence. L'homme est lent à édifier, prompt à détruire, c'est le contraire pour Dieu. Dieu mit sept jours à détruire Jéricho. — 5° Rahab la courtisane. Rahab est la figure de l'Eglise qui, souillée autrefois par une alliance impure avec les démons, reçoit aujourd'hui les éclaireurs du Christ, les Apôtres. — 6° Le péché est père de la douleur, et la douleur détruit le péché. — 7° Celui qui donne au pauvre prête à Dieu.

1. Le divin Apôtre emploie partout un langage céleste et développe la parole évangélique avec une science infinie : ce n'est pas. de son propre sentiment qu'il ose tirer ce qu'il enseigne, c'est appuyé authentiquement sur la royale autorité du Maître, qu'il proclame les dogmes de la foi. Mais il montre principalement son habileté, quand il est amené à parler de pénitence aux pécheurs. Je dois vous prêcher aussi sur le même sujet. Pour rappeler en passant une partie de ce que j'ai déjà dit, vous avez entendu en quels termes cet homme généreux et admirable s'adressait aux Corinthiens: Puissé-je, en arrivant parmi vous, n'avoir pas à pleurer sur beaucoup de ceux qui ont péché et qui n'ont pas fait pénitence! (II Cor. XII, 21.) Ce grand docteur était homme par nature, mais il était ministre de Dieu par vocation; c'est pourquoi il parle en quelque sorte le langage des anges; il menace les pécheurs et il promet miséricorde aux pénitents comme s'il s'adressait du haut du ciel aux uns et aux autres. En raisonnant (312) ainsi, je n'attribue pas la puissance souveraine à la parole personnelle de Paul, je rapporte tout à la grâce de Dieu dont cet apôtre a lui-même dit : Cherchez-vous à éprouver si c'est le Christ qui parle en moi? (II Cor. XIII, 3.) Il offre donc aux pécheurs un bienfaisant remède, la pénitence pour le salut. Aujourd'hui l'Evangile, concordant avec la leçon apostolique, nous représente le Sauveur dispensant avec abondance la rémission des péchés. En effet, le Sauveur, en guérissant le paralytique, lui adresse les paroles que vous connaissez : Mon fils, vos péchés vous sont remis. (Marc, II, 5.) La rémission des péchés est la source du salut, la couronne de la pénitence : la pénitence est la guérison du péché, le don céleste, la puissance merveilleuse qui, par la grâce, triomphe de la loi en empêchant son application rigoureuse. Dieu ne dédaigne pas le fornicateur, ne repousse pas l'adultère, ne chasse pas l'ivrogne, ne déteste pas l'idolâtre, n'expulse pas le médisant, ne poursuit pas le blasphémateur et le vaniteux; mais en convertissant les uns et les autres, il les transforme : la pénitence est le creuset du péché. Il est nécessaire avant tout de connaître le but que Dieu se propose; mais, au lieu d'aborder l'étude de ce sujet avec nos idées personnelles, démontrons la vérité telle que nous la voyons attestée par les saintes Ecritures. Le but de la conduite douce et patiente de Dieu à l'égard des pécheurs est double et tout en faveur de notre salut : d'une part le Seigneur veut procurer aux hommes le salut par la pénitence, de l'autre il veut tenir en réserve ses bienfaits pour ceux de leurs descendants qui doivent un jour progresser dans la vertu. Et, s'il faut me répéter, je dirai que Dieu se montre si accommodant afin que le pécheur se convertisse lui-même et ne ferme pas à ses enfants la porte du salut. Lors même que le pécheur viendrait à retomber dans l'ornière de son impénitence, Dieu épargnerait la souche afin de conserver les fruits; ou bien il lui arrive souvent, comme je l'ai dit, de transformer la souche elle-même; mais si elle est tombée en complète pourriture, il diffère le châtiment, il temporise afin de sauver au moins ceux qui feront pénitence. plus tard : c'est avec raison; et comment? Ecoutez. Tharé, le père d'Abraham, fut un adorateur d'idoles : Dieu fit sagement de ne pas lui infliger dès ce monde la punition de son impiété; en effet, s'il eût coupé la racine, d'où donc fût sorti Abraham, cet admirable fruit de foi ? Quoi de pire qu'Esaü? Eh bien ! voyez en lui un autre exemple de sage bonté : connaissez-vous une méchanceté plus insolente que la sienne? Ne fut-il pas impudique et impie, comme ledit l'Apôtre? (Hébr. XII, 16.) Ne fut-il pas pour son père et pour sa mère un fils dénaturé ? Ne fut-il pas, au moins par la pensée, le meurtrier de son frère? Ne fut-il pas odieux au Seigneur, selon le témoignage de l'Ecriture J'ai aimé Jacob, j'ai détesté Esaü? (Rom. IX, 13.) Fornicateur, fratricide, libertin, haï de tous, pourquoi ne disparaît-il pas? Pourquoi n'est-il pas retranché et enlevé de ce monde? Pourquoi ne reçoit-il pas sur-le-champ la punition qu'il mérite ? Pourquoi? Il est vraiment intéressant d'en dire le motif : si Dieu l'avait détruit, la terre aurait perdu un magnifique fruit de justice : et lequel? Esaü engendra Raquel, qui engendra Zara, qui engendra Job. (Gen. XXXVI.) Comprenez-vous que cette fleur de patience ne se serait jamais épanouie, si la justice divine en avait détruit la racine par une punition trop prompte?

2. Dans tous les événements vous pouvez saisir la même pensée. Ainsi, à l'égard de ces Egyptiens, qui proféraient des blasphèmes intolérables, Dieu montre une patience infinie, à cause des florissantes églises qui couvrent aujourd'hui leur pays, à cause de ces monastères et de tous ces hommes qui ont embrassé un genre de vie angélique. En effet, selon le langage des jurisconsultes et selon les prescriptions des lois romaines, la femme enceinte, qui a commis un crime capital, n'est pas mise à mort avant d'avoir déposé son fruit : cette disposition légale est juste : les législateurs ont vu qu'il serait déraisonnable de détruire du même coup l'enfant innocent et la mère coupable. Si les lois humaines épargnent ceux qui n'ont commis aucune faute, à plus forte raison Dieu épargnera-t-il la souche afin de réserver aux rejetons le bénéfice de la pénitence? Et du reste comprenez bien (lue ce bénéfice de la pénitence appartient aussi aux pécheurs eux-mêmes, puisqu'en eux la clémence divine rencontre les mêmes motifs de temporisation. Si la punition avait toujours prévenu l'amendement, le monde serait détruit et anéanti totalement; si Dieu était toujours prompt à la vengeance, l'Eglise n'aurait pas possédé Paul, n'aurait pas joui de cet homme si grand et si saint : Dieu a toléré ses blasphèmes afin de (313) montrer sa conversion. Cette patience divine a fait d'un persécuteur un apôtre, a changé le loup en pasteur, a trouvé un évangéliste dans un publicain; cette patience divine, en prenant pitié de nous tous, nous convertit tous, nous transforme tous. Quand vous voyez l'ivrogne d'autrefois pratiquer maintenant le jeûne, quand vous voyez l'impie d'autrefois devenir théologien, quand vous entendez celui qui souillait autrefois ses lèvres de chansons obscènes purifier aujourd'hui son âme parles hymnes sacrées, glorifiez la patience de Dieu, louez la pénitence, et prenez occasion de toutes ces conversions, pour dire : Voilà un changement qui vient de la main du Très-Haut. (Psaum. LXXVI, 11.) Dieu est bon pour tous les hommes, mais c'est aux pécheurs qu'il donne les marques exceptionnelles de cette bonté. Et si vous voulez entendre une parole étrange, étrange selon les habitudes du langage, mais parfaitement exacte selon la piété, écoutez.

Dieu se montre partout dur pour les justes autant que doux et facile au pardon envers les pécheurs. Il relève l'homme qui a péché, qui est tombé, en lui disant : Est-ce que celui qui est tombé ne se relève pas ? Est-ce que celui qui s'est écarté ne revient pas ? (Jérém. VIII, 4) ; et ailleurs : Pourquoi l'imprudente fille de Juda s'est-elle éloignée de moi par une fuite honteuse? (Ibid.) ; et ailleurs encore : Revenez à moi et je reviendrai à vous. (Zach. I, 3.) Dans un autre endroit sa prodigieuse clémence le porte à affirmer par serment que le salut vient de la pénitence : Vive moi! dit le Seigneur : je ne veux pas la mort du pécheur, je veux qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XXXIII, 24.) — Mais voici ce qu'il dit au juste : Après que l'homme aura mis en pratique toute justice et toute vérité, s'il vient à s'écarter et à pécher, je ne me souviendrai pas de sa vertu: il mourra dans son péché. (Ezéch. XVIII, 24.) Quelle rigoureuse sévérité pour le juste ! et quelle générosité envers le pécheur ! C'est ainsi que Dieu dispose toutes choses avec variété et diversité ; sens changer lui-même, il divise et mesure pour notre utilité la distribution de ses dons. Et comment ? Ecoutez. En épouvantant le pécheur qui persévère dans son iniquité, il le pousserait au désespoir; en louant le juste, il amollirait la vigueur de sa vertu et l'exposerait à tomber dans l'insouciante négligence d'un homme qui aurait heureusement atteint son but ; c'est pourquoi il prend pitié du pécheur et il effraye le juste : Le Seigneur est terrible pour ceux qui sont autour de lui (Psaum. LXXXVIII, 9) ; et pourtant il est doux à tous. Le Seigneur, dit l'Ecriture, est terrible pour ceux qui sont autour de lui. Qui sont-ils, sinon les saints ? Le Seigneur, dit David, est glorifié dans l'assemblée des saints; il est grand, il est terrible pour tous ceux qui l'entourent. (Psaum. CXLIV, 8.) Si Dieu voit un pécheur faillir, il lui tend la main; s'il voit un juste se tenir ferme, il lui inspire la terreur : cette conduite est d'une exacte justice, d'un salutaire jugement. La crainte soutient le juste, la clémence relève le pécheur. Voulez-vous comprendre clairement combien sa bonté est opportune et combien sa sévérité nous devient utile et avantageuse ? Prêtez attention afin de ne pas laisser échapper cette grande théorie.

Une femme pécheresse, connue pour s'être plongée dans toutes les débauches et tous les vices, coupable de mille fautes, enchaînée par d'innombrables oeuvres de péchés, mais qui avait soif du salut par la pénitence, se glissa un jour au banquet des saints : je dis le banquet des saints, parce que le Saint des saints y assistait. Ainsi, pendant que le Sauveur était assis à la table de Simon le pharisien, cette misérable femme pénétra secrètement dans la maison, vint toucher les pieds de Jésus, les arrosa de ses larmes et les essuya de ses cheveux. (Matth. XXVI, 6.) Et lui, avec une ineffable bonté, il la pria écrasée sous la masse de ses péchés, il la releva et lui dit : Tes péchés sont remis. (Luc, VII, 47.) Mon dessein n'est pas de discuter tout ce récit : je ne veux en tirer qu'un témoignage. Voyez quelle généreuse libéralité ! Je vous le dis, beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. (Ibid.) Cette femme pécheresse a donc obtenu aisément l'oubli d'une multitude de fautes. Et Marie, soeur de Moïse, gagne par un léger murmure le terrible châtiment de la lèpre. (Nombr. XII, 10.) Dieu dit aux pécheurs. Quand vos péchés seraient rouges comme le coccin, ils deviendront blancs comme la neige. (Isaïe, I, 18.) Il change les ténèbres en lumière par la conversion, il dissipe par une parole de charité la multitude désordonnée des péchés. Au contraire il dit à l'homme qui marche dans la justice : Quiconque dira à son frère, Fou, sera condamné à la géhenne du feu. (Matth. V, 22.) Pour un seul mot il inflige une telle punition tandis qu'il témoigne tant d'indulgence pour des péchés si nombreux.

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3. Remarquez encore un fait singulier ! Nos péchés sont comptés comme autant de dettes; or Dieu fait une remise aux pécheurs de la somme totale, tandis qu'il exige des justes tous les intérêts. Un homme qui lui devait dix mille talents vint le trouver et adoucit ses justes exigences en lui disant avec contrition et avec d'instantes supplications : Seigneur, ayez un peu de patience pour moi, je vous rendrai tout. (Matth. XVIII, 26.) Et le Seigneur dans sa bonté n'hésita pas à le libérer de tout; il accepta en paiement la confession de la dette. Voilà donc un débiteur de dix mille talents qui reçoit remise de cette somme entière; mais aux justes Dieu réclamera capital et intérêts; il le déclare : Pourquoi n'avez-vous pas placé mon argent chez les banquiers, afin qu'à mon arrivée je pusse l'exiger avec usure ? (Luc, XIX, 23.)

Ce que j'en dis n'est pas pour prétendre que Dieu éprouve de l'aversion à l'égard des justes Dieu n'aime rien plus que l'homme juste; mais, comme je l'ai indiqué plus haut, il veut réconforter le pécheur en le consolant, et affermir le juste en lui inspirant une crainte salutaire. Aux premiers. il pardonne un grand nombre de péchés comme à des gens hostiles et malades d'orgueil; il demande aux autres un compte rigoureux même des plus légères fautes, il ne souffre en eux rien d'imparfait. Ce qu'est un riche en ce monde, le juste l'est devant Dieu ; ce qu'est un pauvre en ce monde , le pécheur l'est devant Dieu : rien de plus pauvre que le pécheur, rien de plus riche que le juste. C'est pourquoi saint Paul dit de ceux qui se conduisent avec piété et sagesse : Je rends grâces à Dieu de ce que par lui vous vous êtes enrichis en tout, en toute parole et en toute science. (I Cor. 1, 4, 5.) Le bienheureux Jérémie, parlant des impies, s'est exprimé ainsi : Sans doute ils sont pauvres c'est pourquoi ils n'ont pas pu entendre la parole du Seigneur. (Jér. V, 5.) Comprenez-vous bien qu'il nomme pauvres ceux qui se sont écartés de la vertu? Dieu a donc pitié des pécheurs comme des gens pauvres; et il se montre exigeant envers les justes comme envers des gens riches. Aux premiers il fait des largesses à cause de leur indigence; aux autres il demande des comptes sévères à cause de l'opulence de leur piété. Cette conduite qu'il tient à l'égard des pécheurs et des justes, il la tient pareillement à l'égard des riches et des pauvres ; de même qu'il encourage le pécheur par sa clémence et effraye le juste par sa sévérité, de même il arrange et distribue l'économie des choses humaines. Voit-il certains personnages entourés des splendeurs des hautes dignités, les princes, les rois, tous ceux qui se distinguent par la richesse, il leur parle pour les effrayer, il fait planer sur la puissance une utile terreur: Et maintenant, ô rois, comprenez; instruisez-vous, ô vous qui jugez la terre! Servez le Seigneur dans la crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement. (Psaum. II,10.) Car il est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. (I Tim. vi, 15.) Où est l'autorité du pouvoir, là il pose la terreur de sa puissance; où est la bassesse de l'humilité, là il offre le remède de sa clémence. Ce grand Dieu, ce Roi des rois, ce Seigneur des seigneurs étant lui-même descendu de sa gloire, devient, selon l'expression de la sainte Ecriture, le père des orphelins et le juge des veuves en même temps qu'il se montre le Roi des rois, le Prince des princes, le Seigneur des seigneurs. Voyez-vous combien est grande sa charité ? Voyez-vous combien est utile la crainte qu'il inspire à la piété et à la puissance ?

Là où il voit que la puissance suffit à la consolation, il apporte la crainte comme un utile contre-poids; et là où il voit l'orphelin accablé sous le mépris et la femme en proie à une pauvreté qu'aggrave encore son veuvage, il apporte sa clémence comme consolation: Je suis le père des orphelins. Dieu fait deux choses; il montre sa charité et il punit l'orgueilleuse puissance. En se nommant lui-même père des orphelins, il veut en même temps consoler les malheureux et effrayer les puissants pour les empêcher de nuire aux orphelins et aux veuves. Celle-ci a perdu par la mort son mari et ceux-là ont perdu leur père : la loi de la nature a frappé le mari et le père; la loi de la charité divine les remplace; et la même grâce qui a donné le roi des saints pour juge à la veuve, le donne pour père à l'orphelin. C'est pourquoi, ô impies, si vous faites tort à la veuve, vous irritez son protecteur; si vous persécutez les orphelins, vous attaquez les enfants de Dieu. Je suis le père des orphelins et le juge des veuves. (Psaum. LXVII, 6.) Qui sera assez audacieux dans son impiété pour persécuter injustement les enfants et pour chagriner les veuves que Dieu a pris sous sa tutelle? Voyez-vous combien sont sages les remèdes (315) qu'il a préparés? voyez-vous comment, sans se contredire lui-même, il s'accommode aux divers besoins des hommes en inspirant la terreur aux uns et en prenant pitié des autres? Employons donc comme remède sauveur la pénitence ou plutôt recevons de la main même de Dieu cette pénitence qui doit nous guérir : ce n'est pas nous en effet qui la lui offrons, c'est lui qui la fait entrer dans notre coeur. Voyez-vous la sévérité de Dieu dans la loi et sa charité dans la grâce. Lorsque je parle de sévérité dans la loi, je ne prétends pas blâmer le législateur; mais je veux publier la douceur de la grâce évangélique. La loi en effet punissait sans rémission les pécheurs, mais la grâce surseoit au châtiment avec une extrême indulgence afin de donner temps à la conversion. Recevons donc, mes frères, la pénitence comme le remède qui nous sauvera, comme le remède qui détruira nos péchés. Or la vraie pénitence n'est pas celle que l'on publie des lèvres, mais celle que l'on pratique par des oeuvres solides ; la vraie pénitence est celle qui efface jusqu'au fond du coeur la souillure du péché. Lavez-vous, dit la sainte Ecriture ; chassez le péché de votre âme, chassez-le bien loin de mes yeux. (Isaïe, I, 16.) Que signifie cette redondance d'expressions ? N'était-ce pas assez de dire : chassez le péché de votre âme, pour indiquer toute la pensée? pourquoi ajouter: chassez-le bien loin de mes yeux? parce que les yeux de l'homme voient d'une manière et les yeux de Dieu voient d'une autre; l'homme n'aperçoit que le visage, Dieu regarde dans le coeur. (I Rois, XVI, 7.) Ne souillez pas,la pénitence par de fausses apparences, mais montrez en de dignes fruits à mes regards qui scrutent les replis les plus cachés.

4. Il faut que nous conservions toujours présent le souvenir de nos péchés, même après nous en être purifiés. Dieu par clémence vous en accorde le pardon ; mais vous, pour la sécurité de votre âme, ne les oubliez pas. Le souvenir du passé est la sauvegarde de l'avenir; l'âme qui sent le remords d'une première faute montre une vigilance plus soigneuse contre les fautes suivantes. C'est pourquoi David s'écriait : Mon péché est toujours contre moi (Ps. XL, 5) ; il tenait sous ses yeux son ancien péché, afin de se préserver des péchés futurs. Que Dieu demande de nous l'habitude de cette précaution, je le prouve par ce qu'il dit lui-même: Ecoutez : C'est moi qui détruis le péché, et je ne me souviendrai plus de lui; mais toi, souviens-t'en, et entrons en jugement, dit le Seigneur: dis le premier ton péché, afin que tu sois justifié. (Isa. XLIII, 25.) Dieu ne fait pas attendre le pardon après la pénitence : aussitôt dit le péché, aussitôt la justification est accordée; vous avez fait pénitence et du même coup vous avez trouvé miséricorde. Ce n'est pas la longueur du temps (lui absout; c'est la disposition du pénitent qui efface le péché: il se peut qu'un homme, après de longues peines, n'obtienne rien, tandis qu'un autre, après une rapide mais sincère confession, sera délivré du péché. Samuel consuma un temps infini à prier pour Saül et passa de nombreuses nuits dans l'insomnie pour gagner le salut de ce pécheur; mais Dieu ne prêta aucune attention à la longueur du temps ainsi employé, parce que la conversion du roi ne concourait pas avec les instances du prophète; il dit donc à celui-ci: Samuel, jusqu'à quand pleureras-tu Saül? moi, je l'ai rejeté. (I Rois, XVI, 1.) Ce mot jusqu'à quand exprime la durée de la supplication et la persévérance du suppliant. Dieu ne s'en soucia point parce que la pénitence du royal coupable ne s'était pas jointe à l'intervention du juste. Voyez au contraire le bienheureux David : A peine a-t-il reçu la réprimande du pieux Nathan, à peine a-t-il entendu des menaces, qu'il témoigne d'une vraie conversion et s'écrie : J'ai péché contre le Seigneur! (II Rois, XII, 13.) Sur-le-champ, à l'instant même, cette parole prononcée d'un coeur sincère apporte le salut à ce pécheur repentant, parce que la correction suit sans aucun retard la confession. Nathan lui répond donc : Le Seigneur vous a remis votre péché. (Ibid.)

Et remarquez combien Dieu est lent à punir et -prompt à sauver-; examinez combien de temps sa clémence lui fait différer le châtiment ! David avait péché, la femme coupable était enceinte : aucune punition n'avait suivi leur faute; ce n'est qu'après la naissance de l'enfant du péché qu'arrive le médecin du péché. Pourquoi donc ne furent-ils pas frappés immédiatement après la faute commise? Dieu voyait la conscience de ces deux pécheurs aveuglée par les premières fumées du péché et comme assourdie au .fond du gouffre où ils venaient de tomber; il temporisa avant de prêter secours à ces âmes où fermentait la passion ; il ne fit paraître le châtiment que plus tard; mais dans un même instant (316) la pénitence et la rémission se déclarent : Le Seigneur vous a remis votre péché! O merveilleuse dispensation de la menace ! Voyez combien Dieu est prompt à pardonner ! Et ce qu'il a fait pour David, il le fait pour une foule d'autres , lent à détruire , prompt à édifier. Prenons un exemple. Parmi les hommes, on met un long temps à élever un édifice, un long temps à bâtir une simple maison : si la durée de la construction est longue, bien courte est celle de la destruction. Dieu agit tout différemment : lorsqu'il construit, il construit vite; lorsqu'il détruit, il détruit lentement. Rapidité dans la construction, lenteur dans la destruction, ces deux qualités sont le propre de Dieu : celle-ci intéresse sa bonté, et celle-là sa puissance; cette rapidité vient de l'excellence de sa puissance et cette lenteur vient de la plénitude de sa bonté. La preuve des paroles se trouve dans l'expérience des faits : en six jours Dieu créa le ciel et la terre, les immenses montagnes, les pleines, les vallées, les collines ombragées, les forêts, les plantes, les fontaines, les fleuves, le paradis, toute cette infinie variété qui frappe nos regards, cette mer aux flots sans limite, les îles, les régions maritimes et continentales; en six jours Dieu a fait et embelli tout ce monde visible; en six jours il a organisé les êtres raisonnables et les êtres irraisonnables ; il a mené à la perfection l'ornement de cet ensemble qui tombe sous nos yeux : et ce Dieu, si rapide à construire l'univers, s'est montré d'une lenteur extrême quand il s'est agi de détruire une ville. Il veut renverser Jéricho et il dit à Israël : Fais-en le tour pendant sept jours; et au septième jour ses murailles s'écrouleront. (Josué, VI, 3.) Vous avez créé le inonde en six jours, et vous en mettez sept à détruire une ville ! Pourquoi ne la ruinez-vous pas d'un seul coup? N'est-ce donc pas de vous que le Prophète a dit bien haut : Si vous entr'ouvrez le ciel, la terreur de votre nom s'emparera des montagnes et elles fonderont comme la cire devant le feu ? (Isaïe, LXIV, 1, 2.) N'est-ce pas de votre puissance que David racontait les oeuvres : Nous ne craindrons rien lorsque la terre sera ébranlée et que les montagnes seront transportées au coeur de la mer? (Psaum. XLV, 3.) Vous pouvez transporter les montagnes et les précipiter dans les flots ; mais vous ne voulez pas détruire une ville rebelle et vous employez sept jours à sa ruine ! Pourquoi? — Ce n'est pas la puissance qui me fait défaut, répond le Seigneur; mais ma clémence patiente et temporise : Je donne sept jours à Jéricho comme trois à Ninive; peut-être acceptera-t-elle pendant ce temps la pénitence qui lui est prêchée, peut-être se sauvera-t-elle ! — Et qui donc lui prêche la pénitence? Les ennemis l'ont cernée, le stratège a bloqué ses murailles : partout la crainte, partout le tumulte ! Quelle voie lui avez-vous ouverte pour la pénitence? Lui avez-vous envoyé un prophète? un évangéliste? Y a-t-il parmi ce peuple quelqu'un qui puisse lui suggérer ce qu'il convient de faire? — Oui, dit-il, ils ont chez eux un maître de pénitence, cette admirable femme, cette Rahab que j'ai sauvée par la pénitence! Elle faisait partie de la même masse; mais, comme elle n'avait pas les mêmes dispositions, elle n'a point participé à leur infidélité ni par conséquent à leur péché !

5. Et voyez quelle singulière proclamation de clémence ! Ce Dieu qui a écrit dans la loi : Vous ne commettrez ni l'adultère ni la fornication (Exod. XX, 14), ce Dieu change par bonté cette parole et s'écrie par l'organe du bienheureux Jésus: Que Rahab la courtisane vive! (Josué, VI, 17.) Ce Jésus, fils de Nave, qui a dit: " Vive la courtisane ! " est l'image du Seigneur Jésus qui a dit : Les courtisanes et les publicains vous précéderont au royaume des cieux. (Matth. XXI, 31.) Si Rahab mérite de vivre, pourquoi est-elle courtisane? Si elle est courtisane, pourquoi lui souhaiter de vivre? — Je rappelle son premier état, dit l'Ecriture, afin que vous en admiriez le changement. — Mais, demanderez-vous , qu'est-ce qu'a donc fait Rahab qui lui donnât droit au salut? Est-ce parce qu'elle a reçu pacifiquement les éclaireurs hébreux? Une hôtelière en eût fait tout autant! Ce n'est point par de simples paroles qu'on gagne le salut, mais c'est par la foi et par l'amour de Dieu.

Or, pour comprendre la grandeur de la foi de cette femme, écoutez l'Ecriture elle-même qui en raconte et en atteste les bonnes oeuvres. Elle était dans une maison de débauche, comme une perle roulée dans la boue , comme de l'or coulé dans la fange, comme une fleur étouffée par les ronces; cette âme pieuse était captive dans la demeure de l'impiété. Appliquez votre attention ! Elle reçoit les éclaireurs, et elle prêche dans un lupanar le Dieu qu'Israël a renié dans le désert, Et qu'ai-je besoin de rappeler (317) le désert? Lorsque le mont Sinaï était enveloppé de nuées et de ténèbres, au bruit des trompettes, au milieu des éclairs et d'autres phénomènes terribles, Dieu fit entendre, du sein des flammes, ces paroles : Ecoute, Israël; le Seigneur ton Dieu, le Seigneur est unique. (Deut. VI, 39.) Les autres dieux ne seront rien pour toi. (Exod. XX, 4.) Je suis au ciel sur ta tête, je suis en la terre sous tes pieds; nul n'est Dieu, hors moi. (Deut. IV, 39.) Israël, après avoir entendu tout cela, se fabriqua un veau d'or et rejeta son Dieu; Israël oublia son Maître et répudia son bienfaiteur ; Israël dit à Aaron : Fais-nous des dieux. (Exod. XXXII, 1.) S'ils sont dieux , pourquoi dites-vous de les faire ? et si on peut les faire, comment sont-ils dieux? C'est ainsi que les mauvaises passions s'aveuglent, se combattent et se détruisent elles-mêmes. On fabriqua un veau, et l'ingrat Israël de s'écrier : Voilà tes dieux, Israël! voilà ceux qui t'ont tiré de la terre d'Egypte. (Exod. XXXII, 4.) Tes dieux! et il ne voit qu'un veau, qu'une idole fabriquée. Pourquoi donc tes dieux? Le peuple voulait témoigner qu'il n'adorait pas seulement ce qui frappait ses yeux, mais qu'il se représentait en imagination la pluralité des dieux ; il donnait une expression à sa pensée, il ne bornait pas son hommage à ce qu'il voyait.

Pour en revenir à notre sujet, Israël, après avoir entendu les ordres de Dieu, après avoir été comme assiégé de prodiges, après avoir été nourri de l'enseignement de la loi, Israël renie tout ce que Rahab, enfermée dans un lieu de débauche, proclame courageusement; elle dit aux éclaireurs : Nous avons appris tout ce que votre Dieu a fait aux Egyptiens. (Jos. II, 9.) Le Juif s'écrie : Voilà tes dieux, ô Israël! voilà ceux qui t'ont tiré de la terre d'Egypte, tandis que la courtisane attribue leur salut à Dieu et non pas aux dieux. Nous avons appris tout ce que votre Dieu a fait aux Egyptiens, nous l'avons entendu raconter, notre coeur s'en est fondu de crainte et notre force nous a abandonnés. (Ibid.) Comprenez-vous comment elle recueille et accepte, par la foi, la parole du législateur : Et j'ai reconnu que votre Dieu est en haut dans le ciel, et ici-bas sur la terre; nul n'est Dieu, hors lui. (Ibid.) — Rahab est la figure de l'Eglise, qui , souillée autrefois par une alliance impure avec les démons, reçoit aujourd'hui les éclaireurs du Christ, les apôtres envoyés, non par le Jésus fils de Nave, mais par Jésus le vrai Sauveur. J'ai reconnu, dit-elle, que votre Dieu est là-haut dans le ciel, et ici-bas sur la terre; nul n'est Dieu, hors lui. (Jos. II, 11.) Les Juifs ont reçu cet enseignement, mais ils ne l'ont pas gardé. L'Eglise l'a entendu et elle l'a observé fidèlement. Elle est donc digne de tout éloge, cette Rahab, image de l'Eglise. C'est pourquoi le noble Paul, convaincu du haut mérite de la foi de cette femme, la considère, non pas comme réprouvée à cause de son premier état, mais comme agréable au Seigneur en raison de sa conversion toute divine ; il la compte parmi tous les saints. Après avoir dit : C'est par la foi qu'Abel a offert son sacrifice, c'est par la foi qu'Abraham a fait ceci et cela (Hébr. XI, 4) ; c'est par la foi que Noé a construit l'arche, c'est par la foi que Moïse a accompli tant d'oeuvres belles et justes ; après avoir rappelé la mémoire d'une foule de saints personnages, il ajoute : C'est par la foi que Rahab la courtisane a mérité de ne pas périr avec les incrédules, qu'elle a reçu les éclaireurs et les a renvoyés par une autre route. (Hébr. XI, 31.)

Et voyez avec quelle adresse elle voile ses bons sentiments ! Lorsque les envoyés du roi arrivent pour rechercher les éclaireurs et lui demandent : Des hommes ne sont-ils pas entrés vers toi? Elle leur répond : Oui, ils sont entrés. Elle s'abrite d'abord derrière la vérité afin de pouvoir ensuite introduire le mensonge. Le mensonge ne se fait pas accepter tout seul, il a besoin de mettre en avant la vérité. Aussi les gens qui mentent avec le plus d'habileté et de succès commencent par dire quelque chose d'exact, quelque chose de généralement avoué ; après quoi ils amènent doucement le douteux, puis le faux. — Les éclaireurs sont-ils entrés vers toi? disent les envoyés du roi. — Oui, répond Rahab. — Si elle eût tout d'abord répondu: Non, elle n'eût fait que provoquer les investigations minutieuses des messagers. Au lieu de cela, elle dit : Ils sont entrés, et ils sont repartis par tel chemin; poursuivez-les et vous les atteindrez. O merveilleux mensonge ! ô ruse heureuse ! ce n'est pas pour trahir Dieu, c'est pour sauver sa piété que Rahab les emploie. Si donc Rahab s'est rendue par la pénitence digne du salut, si son éloge est publié par la bouche des saints, si Jésus, fils de Nave, s'écrie ! Que Rahab la courtisane vive; si saint Paul nous déclare que Rahab la courtisane a mérité de ne pas périr avec les incrédules, combien plus sommes-nous assurés d'obtenir (318) le salut en faisant pénitence. La vie présente est le temps de la pénitence; les péchés qui sont amoncelés sur nous doivent nous faire trembler si la pénitence n'en prévient la punition : Hâtons-nous de paraître en face de Dieu avec une humble confession. (Ps. XCIV, 2.) Eteignons le bûcher réservé à nos crimes ; il n'est pas besoin d'eau à flots, quelques larmes suffisent. Le feu du péché est immense, mais quelques larmes l'éteignent: ce sont elles qui en étouffent le foyer et en lavent les souillures. Le bienheureux David a déclaré et attesté en ces termes la puissance des larmes : Je laverai chaque nuit ma couche de mes pleurs et j'en arroserai mon lit. (Ps. VI, 7.) S'il n'eût voulu marquer que leur abondance, c'eût été assez de dire : J'arroserai mon lit de mes larmes; pourquoi donc dit-il d'abord : Je laverai ma couche. C'est qu'il veut exprimer en même temps qu'elles nettoient et purifient la conscience souillée.

6. Le péché est la cause de tous les maux cause des chagrins, cause des bouleversements, cause des guerres, cause des maladies, cause de toutes ces souffrances rebelles à la guérison qui tombent sur nous de tous côtés. Pareil à un excellent médecin qui, non content d'examiner les symptômes apparents d'une maladie, en recherche soigneusement le principe, le Sauveur voulut nous montrer que le péché est la source originelle de toutes les misères qui accablent les hommes; c'est pourquoi ce grand médecin des âmes, s'adressant au paralytique qu'il savait avoir été infirme de conscience avant d'être infirme de corps, lui dit : Voici que tu es guéri: ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire. (Jean, V, 14.) Ainsi le péché avait, causé l'infirmité de cet homme, le péché avait été le principe de ses souffrances, de ses douleurs, de tout son mal. D'autre part, j'admire la manière dont ce même Dieu qui dès l'origine avait infligé à l'homme la douleur en punition du péché, annule sa sentence par la sentence même et neutralise le châtiment parle châtiment même. Comment cela? Ecoutez. La douleur nous est imposée à cause du péché et c'est la douleur qui nous délivre du péché. Prêtez attention à mes paroles. Au moment où Dieu menace la femme et la condamne pour sa prévarication, il lui dit: Tu enfanteras tes fils dans la douleur. (Genès. III, 16.) Par ce mot, il indiqua que la douleur est le fruit du péché. Mais, ô prodige ! il changea en moyen de salut ce qu'il imposait comme châtiment. Le péché donne naissance à la douleur et la douleur donne la mort au péché: pareille à l'insecte qui ronge le bois duquel il est né, la douleur, née du péché, détruit le péché sous l'influence de la pénitence. C'est pourquoi saint Paul a dit: La douleur qui est selon Dieu opère par la pénitence un, salut assuré. (II Cor. VII, 10.) Cette tristesse est belle dans tes âmes vraiment pénitentes et ce repentir du péché convient aux coupables. Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés. (Matth. V, 5.) Pleurez sur le péché afin de n'avoir pas à pleurer sur le supplice: justifiez-vous auprès du juge avant de comparaître à son tribunal. Ignorez-vous que, quand on veut se rendre un juge favorable, on n'attend pas que les débats du procès soient commencés; on se hâte, avant d'être cité à sa barre, de gagner sa bienveillance soit par des amis, soit par des protecteurs, soit par quelque autre moyen. Au tribunal de Dieu, quand l'heure du jugement sera venue, il ne sera plus temps de fléchir le juge: c'est avant cette époque que vous pouvez l'adoucir. Voilà pour quel motif David a dit: Hâtons-nous de cous présenter devant lui avec une humble confession. (Ps. XCIV, 2.) Ce grand juge ne se laisse ni surprendre par les habiletés de rhétorique, ni ébranler par la puissance ; il ne tient nul compte des dignités, il ne fait aucun cas des personnages, il ne se laisse pas séduire à prix d'argent; sa sentence est d'une justice terrible et implacable.

Prions donc et apaisons dès ici-bas ce juge suprême; supplions-le de toutes nos forces; ce n'est point avec de l'argent... je me trompe c'est avec de l'argent s'il faut parler juste, que nous toucherons sa clémence, mais avec de l'argent, qu'il recevra par les mains des pauvres. Donnez à l'indigent une part dans vos biens et vous trouverez Dieu favorable à votre cause. Je vous parle comme à des amis intimes: la pénitence sans l'aumône est sans vie et sans ailes, elle ne peut prendre son essor quand elle ne s'élance pas sur les ailes de la charité. C'est l'aumône qui donna des ailes à la piété. du pénitent Corneille, selon la parole de l'Apôtre : Tes aumônes et tes prières sont montées au ciel. (Act. X, 4.) Si sa pénitence n'avait pas été soulevée par l'aumône, elle ne serait pas arrivée jusqu'à Dieu. Aujourd'hui le marché de l'aumône est ouvert. Nous voyons des captifs et, (319) des pauvres, nous voyons ceux qui errent à travers la place publique, nous voyons ceux qui crient, ceux qui pleurent, ceux qui gémissent: un merveilleuse affaire commerciale nous est proposée. Le but de tout négoce et l'intention de tout marchand ne sont pas autres que d'acheter à vil prix pour vendre le plus cher :possible. N'est-ce pas ce que veut chaque commerçant? N'est-il pas certain que tous cherchent à vendre fort cher ce qu'ils ont acheté presque pour rien et à retirer un bénéfice largement multiplié? Eh bien ! Dieu nous offre une occasion de ce genre : achetez maintenant à bas prix des droits à la justification et vous les vendrez bien cher dans l'avenir, si toutefois il est permis de nommer vente la récompense éternelle. Ici-bas, la justification s'achète pour peu de chose, pour un pauvre morceau de pain, pour un lambeau de vêtement, pour un verre d'eau froide: Si quelqu'un donne à un pauvre un verre d'eau, il ne perdra pas sa récompense (Matth. X, 42), a dit le Maître qui nous a enseigné ce négoce spirituel. Un verre d'eau sera digne de la récompense, et le don généreux de vêtements ou d'argent ne la méritera-t-il pas? Disons au. contraire qu'il la méritera large et abondante. Pourquoi le Christ parle-t-il d'un verre d'eau? Il a voulu désigner une aumône qui ne coûte rien ; en donnant un verre d'eau, on ne se prive de rien, on ne dépense rien, pas même un petit morceau de bois. Dès lors, si dans une largesse qui n'occasionne pas de frais la grâce du bienfait est estimée si haut, à quelle rémunération n'aura pas droit le juste qui fournira des vêtements, qui distribuera des sommes d'argent, qui procurera l'abondance de tous les autres biens?

Tant que nous verrons devant nous des vertus que nous pouvons acquérir à bas prix, prenons-les, enlevons-les, achetons-les à celui qui les dispense si généreusement. Vous qui avez soif, nous dit-il, venez à la source d'eau vive; vous qui n'avez pas d'argent, venez aussi et achetez. (Isaïe, LV, 1.) Pendant que le marché est ouvert, achetons des aumônes, ou plutôt par les aumônes achetons le salut. Mais, direz-vous, je sais tout cela parfaitement; je l'ai appris de longue date et vous n'êtes pas le premier à me l'enseigner; ce n'est pas à vous que nous entendons exposer cette doctrine pour la première fois; vous ne prêchez rien de nouveau, vous ne prêchez que ce que plusieurs des prédicateurs ici présents nous ont déjà expliqué. — Je sais moi-même, je sais fort bien que souvent vous avez été instruits de ces vérités et d'autres du même genre; mais plût à Dieu que vous mettiez en pratique quelque peu de ce bien qui a été si souvent enseigné: Celui qui prend pitié du pauvre prête au Seigneur à gros intérêts! (Prov. XIX, 17.) Prêtons l'aumône à Dieu pour recevoir les intérêts de la clémence. Mais, ô parole merveilleuse ! celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu ! Pourquoi l'Ecriture dit-elle : Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu, et non pas donne à Dieu? L'Ecriture connaît notre avarice; elle sait que notre insatiable cupidité n'a en vue que le lucre et ne cherche que le gain; si elle ne dit pas simplement : Celui qui a pitié du pauvre donne à Dieu, c'est pour vous ôter l'idée qu'il ne s'agit que d'un simple salaire: Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu. Si nous prêtons à Dieu, il devient notre débiteur. Que voulez-vous donc qu'il soit pour vous, juge ou débiteur? Le débiteur traite avec grand respect son créancier; le juge ne ménage guère son emprunteur.

7. Il est nécessaire d'examiner encore un second motif pour lequel Dieu affirme que c'est lui prêter à intérêts que de donner aux pauvres. Dieu voyait que notre avarice, comme je l'ai dit, ne vise qu'au profit, et que celui qui possède de l'argent ne veut pas le prêter à moins de bonnes sûretés : le prêteur en effet exige une hypothèque, ou un gage, ou une caution, et il ne lâche ses deniers que sous une de ces trois garanties : caution, gage ou hypothèque; Dieu voyait que personne ne se soucie de prêter en dehors de ces conditions, que personne ne daigne seulement regarder la pure charité et que tous n'ont d'yeux que pour le gain; Dieu voyait que le pauvre est empêché de recourir à ces divers moyens, n'ayant point d'hypothèques à offrir puisqu'il ne possède rien, n'ayant aucun gage à présenter puisqu'il est tout nu, n'ayant pas de caution à interposer puisque son indigence lui ôte tout crédit; Dieu voyait le pauvre mis en danger par sa misère et le riche mis en danger par son inhumanité; c'est pourquoi il se plaça entre les deux, il offrit sa parole comme caution au pauvre emprunteur, comme arrhes au riche prêteur : Tu ne fais pas crédit à cet homme, parce qu'il est pauvre; fais-moi crédit puisque "je suis riche, " dit-il. Dieu a vu le pauvre, et il a été ému de pitié; Dieu a vu le pauvre (320) et loin de le dédaigner, il s'est donné lui-même pour garant de celui qui ne possède rien; il est venu au secours de l'indigent avec une infinie bonté ; j'en prends à témoin ces paroles du bienheureux David: Le Seigneur s'est placé à la droite du pauvre. (Ps. CVIII, 31.) Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu : Aie donc confiance, ô riche ! ne crains pas de me prêter. — Mais combien gagnerai-je d'intérêts si je vous prête? — Tu fais une grave injure à Dieu en lui demandant raison de cette manière : et toutefois, comme je veux condescendre à ton iniquité et vaincre ta rigueur par ma bonté, établissons notre compte. Que gagnes-tu en prêtant à autrui? quels intérêts réclames-tu? n'est-ce pas le centième, si tu te bornes à un gain légitime? Si tu le dépasses pour écouter ton avarice, c'est une double, une triple injustice dont tu recueilleras le fruit. Eh bien ! je prétends vaincre ton avarice, et venir à bout de ton insatiable cupidité; je prétends combler par ma générosité infinie tes infinis désirs. Tu demandes le centième, je te donne le centuple. — Vous empruntez donc, Seigneur; vous m'empruntez à intérêts l'aumône que je fais ici-bas aux pauvres quand me paierez-vous? Je demande votre parole, parce que je veux que notre contrat soit solide. Désignez-moi l'époque du paiement, marquez le terme où vous vous acquitterez de votre dette. — Voilà certes qui est superflu : Car le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles (Psaum. CXLIV, 13) : toutefois comme l'habitude et l'intention de celui qui emprunte de bonne foi sont de fixer des époques et des termes, apprenez quand et comment vous serez payé par celui auquel vous prêtez par l'intermédiaire des pauvres. Lorsque le Fils de l'homme aura pris place sur son trône de gloire, lorsqu'il aura rangé les brebis à sa droite et lès chevreaux à sa gauche, il adressera la parole à ceux qui seront à sa droite. Remarquez avec quelle douceur le débiteur parle à son créancier, avec quelle générosité l'emprunteur acquitte sa dette ! Venez, dit-il, venez, les bénis de mon Père; entrez en possession du royaume qui vous est préparé depuis la création du monde. Et pourquoi? Parce que j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais nu et vous m'avez vêtu; j'étais captif et vous êtes venus à moi; j'étais infirme et vous m'avez visité; j'étais étranger et vous m'avez accueilli. (Matth. XXV, 31 et suiv.) Alors, ceux qui, dans la vie présente, auront dignement rempli leurs devoirs de charité, considérant d'une part leur misère personnelle et de l'autre la dignité du divin débiteur, s'écrieront : Mais, Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu ayant faim et que nous vous avons nourri? Quand est-ce que nous vous avons , vu ayant, soif et que nous vous avons désaltéré, vous en qui espèrent les yeux de tous les hommes, vous qui leur donnez la nourriture en abondance ?

O bonté admirable ! il cache sa grandeur par miséricorde. J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. O bonté admirable ! ô bonté sans mesure ! Celui qui donne à toute chair la nourriture, celui qui, en ouvrant ses mains, comble de ses bénédictions tout être vivant (Ps. CXLIV, 16), j'ai eu faim, dit-il, et vous m'avez donné à manger. Sa grandeur n'en est pas diminuée, c'est sa bonté seule qui s'engage et répond pour les pauvres. J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. Quel est celui qui prononce de telles paroles? C'est celui même qui verse l'abondance des eaux dans les lacs, dans les fleuves et dans les fontaines; celui qui dit dans l'Évangile : Quiconque croira en moi, selon l'expression de l'Écriture, verra des fleuves d'eau vive couler de son sein (Jean, vu, 38) ; et ailleurs : Que celui qui a soif vienne à moi et se désaltère. (Ibid.) J'étais nu et vous m'avez habillé. Nous avons habillé celui qui couvre le ciel de nuages et qui se fait le vêtement de l'Église et de tous les hommes. Tous ceux qui ont été baptisés dans le Christ se sont revêtus du Christ. (Gal. III, 27.) J'étais en prison: vous étiez en prison, vous qui délivrez les captifs ! Expliquez vos paroles; car votre dignité donne le démenti à vos expressions. Quand est-ce donc que nous vous avons vu dans une telle indigence, quand est-ce que nous vous avons rendu de tels services? Toutes les fois que vous avez fait cela au plus humble des hommes, c'est à moi-même que vous l'avez fait. (Matth. XXV, 40.) N'est-elle pas réalisée cette parole de l'Écriture: Qui donne au pauvre prête à Dieu? Et voyez ce qu'il y a encore d'étonnant : Dieu ne fait mention d'aucune oeuvre de vertu autre que celle-là. Il pouvait dire : Venez, les bénis de mon Père, parce que vous avez été tempérants, parce que vous avez été vierges , parce que vous avez mené une vie tout angélique ; il passe ces (321) bonnes oeuvres sous silence, non pas qu'elles soient indignes d'un souvenir, mais parce qu'elles ne viennent qu'en rang secondaire après la bienfaisance. Et de même qu'il montre à ceux qu'il a placés à sa droite le royaume qu'il leur donne en récompense de leur charité, de même il fait tomber sur ceux qu'il a rejetés à sa gauche la menace du châtiment qu'ils ont mérité par leur stérile égoïsme. Allez, maudits, à ces ténèbres extérieures préparées pour le diable et pour ses anges. (Matth. XXV, 41.) Et pourquoi ? pour quel motif ? Parce que j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger. Le Seigneur ne dit pas : parce que vous avez été fornicateurs et adultères, parce que vous avez commis vols et rapines, parce que vous avez fait de faux témoignages et des parjures. Tous ces actes sont manifestement mauvais, mais moins mauvais que la dureté de coeur et l'inhumanité. Pourquoi donc, Seigneur, ne faites-vous pas mémoire des autres moyens de gagner le ciel ? — Je ne juge pas, répond-il, le péché, mais l'endurcissement dans le péché; je ne juge pas ceux qui ont péché, mais ceux qui n'ont pas fait pénitence : je vous condamne pour votre inhumanité, je vous condamne parce que, ayant à votre disposition dans l'aumône un moyen de salut si efficace et si puissant qu'il vous permettait d'effacer tous vos péchés, vous avez méprisé un si grand bienfait. Oui, je condamne votre inhumanité comme la racine de tout vice et de toute impiété, de même que je comble de mes louanges la charité comme la racine de toutes les bonnes oeuvres. Je menace les uns du feu éternel, j'offre aux autres le royaume des cieux. Qu'elles sont magnifiques ces promesses, ô Seigneur ! et qu'il est beau ce royaume que nous attendons ! et qu'elle est sage cette menace de la géhenne ! D'un côté vous nous attirez, de l'autre vous nous inspirez la crainte; l'espérance de la gloire royale de l'éternité nous excite merveilleusement , la perspective de l'enfer nous saisit d'une utile frayeur. Si Dieu nous menace de la géhenne, ce n'est pas qu'il veuille nous y précipiter, c'est pour nous y faire échapper. Si son intention était de nous punir, il ne publierait pas ses menaces à l'avance, de telle sorte que nous puissions, par de sages précautions, en éviter l'effet. Il dresse à nos yeux l'appareil du supplice afin de nous donner la facilité d'en fuir l'application, il nous effraye en paroles afin de n'avoir pas à nous punir en réalité. Prêtons donc à Dieu l'aumône, prêtons-lui afin de le trouver un jour notre débiteur, comme je l'ai dit, et non pas notre juge. Le débiteur ménage son créancier et le traite avec un humble respect. Quand le débiteur voit le créancier se présenter à sa porte, il s'enfuit, s'il est pauvre ; mais s'il est opulent, il le reçoit généreusement.

Et voyez ici une autre disposition qui, mise en parallèle avec la conduite des hommes, nous fait admirer une fois de plus le Juge divin. Si vous avez prêté à un pauvre, qui plus tard est parvenu à la fortune et se trouve en état de vous payer sa dette , il vous rembourse, mais en se dérobant aux yeux de tous, en prenant bien garde de s'exposer à rougir de sa position première, il vous remercie, mais il tient votre bienfait caché par honte de son ancienne indigence. Dieu n'agit pas de cette manière: il reçoit en secret et il rend en public; quand il emprunte, c'est dans le secret de l'aumône; quand il paie sa dette, c'est en présence de toutes les créatures. — Mais quelqu'un dira peut-être : Puisque Dieu m'a donné la richesse, pourquoi n'a-t-il pas donné au pauvre à peu près comme à moi? —Il pouvait donner au pauvre absolument comme à vous, mais il ne l'a pas voulu. Il a voulu qu'en vous 1a richesse ne restât pas stérile, et que dans le pauvre l'indigence ne demeurât pas sans récompense. Il vous a mis par la richesse en position de vous enrichir par l'aumône et de dissiper votre bien pour la justice, selon la parole de l'Ecriture : Il a dissipé son bien en donnant aux pauvres, et sa justice est établie pour l'éternité. (Psaum. CXI, 9.) Comprenez-vous que par l'aumône le riche amasse un trésor de justice éternelle? Comprenez-vous que le pauvre, à défaut de cette richesse qui lui permettrait d'opérer sa justification, possède sa pauvreté par laquelle il recueille les fruits immortels de la patience? Car la patience des pauvres ne périra pas pour l'éternité. (Psaum. IX, 19.) Ainsi soit-il en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui revient toute gloire dans les siècles des siècles.

Traduit par M. A. SONNOIS.

 

 

 

 

 

 

HUITIÈME HOMÉLIE (1).

ANALYSE.

Comme l'arche de Noé, l'Église reçoit dans son sein des vautours, des loups et des serpents ; mais tandis que l'arche les rendait tels qu'elle les avait reçus, l'Église les transforme, par la pénitence, en brebis, en agneaux, en colombes. — La pénitence sauvera-t-elle celui qui a passé toute sa vie dans le crime? oui, elle le sauvera : et si vous en voulez un garant, je n'en ai point d'autre que la miséricorde de Dieu. — La pénitence seule ne pourrait rien, mais jointe à la bonté de Dieu, elle peut tout. — La malice de l'homme, si grande qu'elle soit, est une malice bornée ; mais la miséricorde de Dieu ne connaît pas de bornes, elle est infinie. — 1° La malice de l'homme se perd dans la miséricorde de Dieu comme une étincelle dans la mer. — 2° Vous êtes retombé plusieurs fois dans le péché, vous le reconnaissez, c'est un commencement de résurrection. — Ne rougissez pas de revenir à l'Église, ni de faire pénitence; ne rougissez que du péché. — Le démon nous fait pécher avec hardiesse et trouver de la honte dans la pénitence. — 3° et 4° Cette doctrine trouve sa preuve dans l'Écriture. — Beau commentaire du premier chapitre d'Isaïe.

1. J'ai été séparé de vous hier, mais contre ma volonté et bien à regret; j'étais séparé de corps, et non de coeur ; j'étais séparé par la chair, et non par l'esprit. Je vous embrassais tous autant que je le pouvais, et je vous portais dans ma pensée. Avant que je fusse parfaitement guéri de la maladie qui m'a tenu éloigné de mon troupeau, lorsque j'en ressentais encore les restes, je me suis empressé, mes très-chers frères, de jouir de votre présence, et je suis accouru pour vous annoncer la parole sainte. Ordinairement les malades, dès qu'ils sont convalescents, désirent de réparer leurs forces par l'usage des bains. Moi, j'ai désiré avant tout de revoir ceux que je chéris, et de satisfaire au plus tôt leur empressement à m'entendre : j'ai désiré de revoir cette mer immense dont les eaux sont sans amertume , et les flots sans agitation. Non, il n'est pas de port aussi sûr que l'Église. J'ai voulu reparaître dans ce champ purgé d'épines et de ronces. Non, il n'est pas de

Traduction de l'abbé Auger, revue.

jardin aussi beau que votre assemblée. On ne trouve point dans ce jardin un serpent perfide, mais Jésus-Christ, chef des fidèles et auteur des grâces; on n'y trouve point d'Eve qui occasionne une chute, mais l'Église qui affermit nos pas; on n'y trouve point de feuilles d'arbres, mais les fruits de l'Esprit divin; on n'y trouve point une haie d'épines, mais une vigne féconde. Si j'y trouve des épines, je les change en oliviers ; car si les vices de la nature nous dégradent, les privilèges du libre arbitre nous honorent. Si je trouve un loup, j'en fais une brebis, non en changeant la nature, mais en convertissant la volonté. Ainsi l'on peut dire que l'Église est bien supérieure à l'arche; l'arche a reçu les animaux, et les a gardés tels ; l'Église reçoit les animaux et les change. Je m'explique. Le milan est entré dans l'arche, et il en est sorti milan : le loup y est entré, et il en est sorti loup. On entre milan dans l'Église, et l'on en sort colombe ; on y entre loup, et l'on en sort brebis; on y entre serpent, et l'on en sort agneau, non parce que la nature (323) est changée , mais parce que le vice est banni.

Voilà pourquoi je ne cesse de vous parler de la pénitence; la pénitence, qui paraît si affreuse, si horrible, et qui cependant est le remède des péchés, la réparation des fautes, le rachat des délits, l'espérance du salut, un préservatif contre le désespoir, une arme contre le démon, un glaive qui abat sa tête superbe. La pénitence nous ouvre le ciel, et nous introduit dans les demeures célestes; elle nous donne la liberté de parler au Seigneur, de verser des larmes en sa présence; elle nous rend victorieux de toutes les ruses du démon. Voilà pourquoi je ne cesse de vous parler d'une vertu qui vous donne l'assurance de triompher de votre ennemi. Vous êtes pécheur, ne désespérez pas : je ne me lasse point de vous offrir ce remède pour adoucir vos maux, parce que je sais quelle arme c'est contre le démon que de ne pas désespérer de vous-même. Si vous avez commis des péchés, ne désespérez pas, je vous le répète sans cesse; si vous en commettez tous les jours, recourez tous les jours à la pénitence. C'est ainsi que, quand les maisons sont vieilles et qu'elles manquent par plusieurs endroits, nous ne nous lassons pas de les réparer, de substituer des parties neuves à celles qui se dégradent. Etes-vous maintenant vieilli par le péché? renouvelez-vous par la pénitence. Puis-je me sauver, direz-vous peut-être, par la pénitence? Oui, vous le pouvez. J'ai passé toute ma vie dans le péché, et je me sauverai par la pénitence ! Oui, sans doute. Qu'est-ce qui le prouve? C'est la bonté du Seigneur. Ce n'est pas sur votre pénitence que je compte, sur une pénitence qui est incapable d'effacer toutes vos fautes, et qui ne pourrait vous ôter vos alarmes si elle était seule; mais comme elle se joint à la bonté de Dieu, que cette bonté est sans bornes, au-dessus de toute expression, comme votre malice a des bornes, et que le remède n'en a pas (votre malice, quelque grande qu'elle soit, n'est qu'une malice humaine, au lieu que la bonté divine est ineffable), ayez confiance, parce que la bonté du Seigneur surpasse votre malice. Une étincelle qui tombe dans la mer ne peut y produire aucun effet : or, votre malice est à la bonté de Dieu ce qu'une étincelle est à la mer; ou plutôt elle est beaucoup moindre, puisque la mer, quelque immense qu'on la suppose, est toujours limitée, au lieu que la bonté du Seigneur ne connaît pas de limites.

Je parle ainsi, non pour vous rendre liches dans la vertu, mais plus ardents à la pratiquer. Je vous ai souvent exhortés à vous éloigner des spectacles. Vous avez prêté l'oreille à mes paroles, il est vrai; mais vous avez négligé mes conseils, vous avez paru aux spectacles, sans tenir compte de mes discours. Ne rougissez pas de revenir ici, et de m'écouter encore. J'ai écouté, direz-vous, et je n'ai point pratiqué; comment reviendrai-je? Mais vous sentez du moins que vous n'avez pas pratiqué; mais vous avez honte; mais vous rougissez; mais vous vous imposez vous-même un frein sans que personne vous accuse; mais nos paroles sont restées gravées dans votre mémoire; mais nos instructions vous purifient sans qu'il soit besoin de notre présence. Vous n'avez pas pratiqué, dites-vous, et vous vous condamnez vous-même; vous avez donc pratiqué en partie, puisque, n'ayant pas pratiqué, vous vous le confessez et dites- Je n'ai pas pratiqué. Celui qui se condamne lui-même pour n'avoir pas mis la parole en pratique, se montre disposé à le faire. Vous avez paru aux spectacles, vous avez commis la faute, vous vous êtes rendu l'esclave d'une vile courtisane : vous êtes sorti du théâtre, vous vous êtes rappelé le spectacle; vous avez rougi; revenez à l'église. Vous avez senti de la douleur, invoquez Dieu; c'est un commencement de résurrection. J'ai écouté, et je n'ai pas pratiqué, direz-vous toujours : comment reviendrai-je à l'église, comment écouterai-je de nouveau ? Vous devez revenir pour cela même que vous n'avez pas pratiqué, afin d'écouter de nouveau et de pratiquer. Si l'on met un appareil sur une plaie et qu'elle ne soit pas guérie, n'en remet-on pas encore un autre jour? Le bûcheron veut-il abattre un chêne? il prend sa cognée, il coupe la racine. S'il donne un coup, et que l'arbre stérile ne tombe point, n'en donne-t-il pas un second, un quatrième, un cinquième, un dixième? Suivez cet exemple. Une courtisane est un chêne, arbre stérile, qui ne produit que des glands, nourriture de pourceaux. Enracinée depuis longtemps dans votre âme, elle l'assujettit à ses caprices, et la rend toute matérielle. Mes paroles sont la cognée. Vous les avez entendues un jour : une passion enracinée depuis si longtemps tombera-t-elle en un jour? Quand il faudrait revenir trois fois, cent fois, et davantage, il n'y aurait rien d'étonnant. Travaillez seulement à (324) couper une mauvaise habitude, qui est quelque chose de si funeste, de si difficile à détruire. Les Juifs mangeaient la manne, et ils regrettaient les oignons d'Égypte. Nous étions plus heureux en Egypte (Nom. II, 48), disaient-ils; tant l'habitude est quelque chose de honteux et de nuisible ! Quoique vous vous soyez corrigé pendant dix jours, pendant vingt, pendant trente, je ne suis pas encore satisfait, je ne vous félicite pas encore, je ne vous applaudis pas; je vous exhorte seulement à ne point perdre courage, à rougir de vous-même, et à vous condamner.

2. Je vous ai parlé de la charité, vous avez écouté mes discours, vous vous êtes retiré; et vous avez fait tort à vos frères, vous n'avez pas pratiqué la parole que vous avez entendue. Ne rougissez pas de revenir dans l'église; rougissez de commettre une faute, ne rougissez pas d'en faire pénitence.

Examinez ce que le démon fait en vous. Il faut bien distinguer le péché et la pénitence. Le péché est la plaie, la pénitence est le remède. Ce que le remède et la plaie sont au corps, le péché et la pénitence le sont à l'âme. Le péché renferme la honte, la pénitence donne la confiance. Écoutez-moi avec attention, je vous en conjure, afin de ne pas confondre l'ordre des choses, et de ne pas perdre le fruit de rues instructions. Remarquez bien ce que je dis : Plaie et remède, péché et pénitence. Le péché est la plaie, la pénitence est le remède. La plaie produit la corruption, le remède arrête le progrès de la corruption. Le péché souille l'âme, il enfante le ridicule et l'opprobre; la pénitence fait naître la liberté et la confiance, en même temps qu'elle fait disparaître la souillure du péché. Observez que la honte suit le péché, et que la confiance accompagne la pénitence. Eh bien ! retenez ceci, le démon renversant l'ordre, attache la confiance au péché et la honte à la pénitence. Je reviens sans cesse jusqu'à ce que je me sois bien expliqué; et je ne puis finir avant d'avoir prouvé ce que j'ai avancé. Il faut distinguer la plaie et le remède. La plaie produit la corruption, le remède arrête le progrès de la corruption. La corruption est-elle dans le remède? La guérison est-elle dans la plaie? ces objets n'ont-ils pas leur ordre naturel? peut-on faire marcher l'un avant l'autre? Non, sans doute. Appliquons cela aux maladies de l'âme. Le péché a pour partage l'opprobre et l'ignominie; la pénitence a pour cortège la confiance, le jeûne, la justification. Confessez le premier vos iniquités, dit l'Écriture, afin que vous soyez justifié. (Is. XLIII, 26.) Le juste est son premier accusateur. (Prou. XVIII, 17.) Ainsi le démon, qui sait que le péché renferme la honte, laquelle est fort propre à ramener le pécheur, et que la pénitence est suivie de la confiance, laquelle est de nature à attirer le pénitent, par un renversement d'ordre, attache la honte à la pénitence et la confiance au péché. Comment cela? Le voici Quelqu'un est épris d'une passion folle pour une courtisane publique; il la suit comme son captif; il entre sans pudeur dans le lieu de prostitution, s'abandonne à la courtisane, consomme le crime avec la même effronterie et la même audace : il sort, et il ne rougit que lorsqu'il faut effacer, par la pénitence, le crime qu'il a consommé sans honte. Malheureux ! vous ne rougissiez pas, lorsque vous vous abandonniez à la courtisane, et vous rougissez lorsqu'il faut en faire pénitence ! Il rougit de s'être livré à une courtisane, et il ne rougissait pas lorsqu'il s'y livrait. Et c'est en cela que consiste la malice du démon. Cet esprit impur ne lui permet pas de rougir dans le péché, il lui fait braver les regards publics, parce qu'il sait que la honte alors lui ferait fuir le péché; il le fait rougir dans la pénitence, parce qu'il sait que la honte alors l'éloigne de la pénitence. Il lui cause deux maux, il l'entraîne dans le péché et le détourne de la pénitence. Vous ne rougissiez pas, lorsque vous vous livriez à une courtisane; et vous rougissez, lorsqu'il faut appliquer le remède au mal ! vous rougissez lorsqu'il faut effacer le péché; et lorsque vous auriez dû rougir, vous étiez armé d'audace ! vous ne rougissiez pas lorsque vous deveniez pécheur; et vous rougissez lorsqu'il faut devenir juste !

Confessez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié. O bonté du Seigneur t l'Écriture ne dit pas: afin que vous ne soyez point puni, mais : afin que vous soyez justifié. Il ne vous suffit donc pas, ô mon Dieu, de ne point punir le coupable, vous le justifiez encore ! Oui, sans doute, dit-il (observez ceci, mes frères), je le rends juste. Et qu'est-ce qui le prouve ? l'exemple du larron de l'Évangile. Pour avoir dit seulement à son compagnon : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? Pour nous, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes, le Sauveur lui dit : (325) Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. (Luc, XXIII, 40, 41 et 43.) Il ne lui dit pas : Je vous affranchis du supplice, je vous épargne foute punition; mais il l'introduit dans le ciel comme juste. Vous voyez que la confession de ses fautes l'a rendu juste. Dieu a aimé les hommes jusqu'à ne pas épargner son Fils pour épargner l'esclave. Il a livré son Fils unique pour racheter des esclaves ingrats; il a donné le sang de son Fils pour le prix de leur rançon. O bonté du Seigneur! Ne me dites donc plus : J'ai commis un grand nombre de fautes; comment pourrai-je les expier? Vous ne pouvez rien, le Seigneur peut tout; il effacera, oui, il effacera tellement vos péchés, qu'il n'en restera aucune trace. Cela n'est pas possible dans nos corps : avons-nous été blessés au visage? quelque soin qu'on se donne, quoiqu'on épuise les remèdes et les ressources de l'art, on guérit bien la plaie, mais la cicatrice demeure, et ne cesse d'offrir une preuve sensible de la blessure dans les traits défigurés. Quoi qu'on fasse pour faire disparaître la cicatrice, on ne peut réussir; la faiblesse de notre nature, l'impuissance de l'art, l'inefficacité des remèdes, sont des obstacles qu'il est impossible de vaincre. Mais lorsque Dieu efface les péchés, il n'en laisse pas de cicatrice, il ne permet pas qu'il en reste une marque, il rend la beauté en rendant la santé, il donne la justification en délivrant de la peine; il fait, en un mot, que le pécheur est comme s'il fût resté innocent. Il enlève le péché, il le fait disparaître comme s'il n'existait pas ou qu'il n'eût jamais existé. Il n'en laisse ni trace ni indice.

3. Et qu'est-ce qui atteste ce que je dis? Je ne me contente pas d'annoncer cette vérité, je veux la démontrer par les Ecritures, afin de porter les choses au plus haut degré de certitude. Je produis comme témoins des hommes malheureusement blessés, un peuple entier tout couvert de plaies, rempli de corruption, dévoré déjà par les vers, qui n'est pas affligé d'une ou deux plaies, mais dont tout le corps, depuis les pieds jusqu'à la tête, n'est qu'une plaie, et qui cependant pourra être si parfaitement guéri qu'il ne restera ni trace ni indice du mal. Ne perdez rien de mes paroles qui tendent à opérer le salut de tous. Je prépare des remèdes bien supérieurs à ceux qu'ont inventés les hommes, des remèdes que toute la puissance des princes ne pourrait procurer; car, que peut un prince? faire sortir de prison, mais non délivrer de l'enfer; combler un sujet de richesses, mais. non sauver une âme. Moi je vous mets entre les mains de la pénitence, pour que vous sachiez quelle est sa force et sa vertu, pour que vous appreniez qu'il n'est point de péché ni d'iniquité qui résiste à son pouvoir. Je produis, pour appuyer mes discours, non pas un seul homme, non pas deux, non pas trois, mais des milliers d'hommes couverts de plaies et d'ulcères, souillés de mille crimes, et qui ont été guéris par la pénitence, de façon qu'il n'est resté ni cicatrice ni trace de leurs anciens maux. Mais écoutez avec attention ce que je vais dire, gravez-le dans votre mémoire, afin que dans d'utiles entretiens vous puissiez vous-mêmes instruire vos frères absents, et que vous inspiriez plus d'ardeur à venir nous entendre aux fidèles maintenant privés du fruit de cette instruction.

Ecoutons Isaïe, qui a contemplé les esprits célestes, qui a entendu leurs concerts mystiques, qui a fait un si grand nombre de prédictions sur Jésus-Christ; demandons-lui ce qu'il annonce: Vision d'Isaïe au sujet de la Judée et de Jérusalem. (Is. 1, et suiv.) Dis-nous, grand prophète, dis-nous ta vision : Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé. — Tu dis autre chose que ce que tu as annoncé. — Quelle autre chose ai-je annoncée? — Tu débutes par dire : Vision au sujet de la Judée et de Jérusalem, et laissant la Judée et Jérusalem, tu invoques les cieux et la terre; tu laisses les créatures raisonnables pour t'adresser aux éléments dépourvus de raison. —-Je le fais, parce que les créatures raisonnables sont devenues plus déraisonnables que les êtres dépourvus de raison ; et aussi parce que Moïse, près d'introduire les Israélites dans la terre promise, prévoyant les maux dont ils seraient accablés en punition de ce qu'ils devaient abandonner les biens dont ils jouissaient, s'écriait lui-même : Ecoutez, cieux; que la terre entende les paroles qui sortent de ma bouche. (Deut. XXXII, 1.) J'atteste les cieux et la terre, dit Moïse aux Juifs, que si vous abandonnez le Seigneur votre Dieu, lorsque vous serez entrés dans la terre promise, vous serez dispersés chez toutes les nations. Isaïe est venu, il annonce l'accomplissement prochain de ces menaces. Il ne pouvait attester ni Moïse qui était mort, ni les Israélites contemporains de Moïse, qui étaient morts aussi; il atteste les éléments (326) qu'avait attestés Moïse. Voilà, dit-il aux Juifs, que vous êtes déchus des promesses, voilà que vous avez abandonné Dieu. Comment invoquerai-je ton témoignage, ô Moïse ! puisque tu n'es plus? comment invoquerai-je celui d'Aaron que la mort a aussi enlevé? Tu ne peux invoquer mon témoignage, lui répond Moïse, invoque celui des éléments. Voilà pourquoi moi-même, lorsque je vivais, je n'ai attesté ni Aaron ni aucun autre, parce qu'ils devaient mourir ; mais j'ai attesté les éléments qui doivent demeurer toujours, les cieux et la terre. Isaïe dit donc : Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, vous que Moïse m'ordonne d'invoquer aujourd'hui. Une autre raison encore pour laquelle il atteste les éléments, c'est qu'il parlait aux juifs. Ecoutez, cieux, vous qui leur avez envoyé la manne; terre, prête l'oreille, toi qui leur as donné des cailles en abondance. Ecoutez, cieux, écoutez, vous qui, contre les lois de la nature, suspendus sur leurs têtes, avez été pour eux une campagne fertile. Terre, prête l'oreille, toi qui, étendue à leurs pieds, leur as servi une table dressée sur-le-champ. La nature était oisive, la grâce seule opérait. Sans les travaux dix labourage, ils avaient une nourriture toujours à leurs ordres; sans aucun apprêt de la main des hommes, la manne, source féconde et sanctifiée, leur tenait lieu de tout. La nature avait oublié sa propre faiblesse. Comment leurs habits ne s'usèrent-ils pas ? comment leurs chaussures ne vieillirent-elles pas? Dieu n'épargnait point les prodiges pour subvenir à leurs besoins. Ecoutez, cieux ; terre, prête l'oreille. Après de si éclatants témoignages d'une bonté attentive, après de semblables bienfaits, le Seigneur est outragé. A qui m'adresserai-je ? n'est-ce pas à vous, puisque je ne trouve pas d'homme qui m'écoute? Je me suis présenté, et nul homme ne s'est offert à moi; j'ai parlé, et personne ne m'a écouté. Je parle à des êtres dépourvus de raison, puisque les êtres raisonnables se sont rabaissés au-dessous de la brute. Voilà pourquoi un autre prophète, voyant un roi furieux qui outrageait le Seigneur par un culte sacrilège rendu à une idole, s'écrie avec force, tandis que tous les autres étaient effrayés. Ecoute, autel, écoute-moi ! (III Rois, XIII, 2.) Quoi donc ! prophète, tu parles à une pierre ? Oui, puisque l'âme du prince est plus dure que la pierre. Ecoute, autel, écoute-moi ! voilà ce que dit le Seigneur: et à l'instant l'autel s'est divisé en deux parts. La pierre a écouté, la pierre s'est fendue, et a rejeté la victime. Comment l'homme a-t-il refusé d'entendre ? Le prince étendit la main pour saisir le prophète. Que fit Dieu? il sécha la main du prince. Voyez la bonté du Seigneur, et l'emportement de l'esclave ! Pourquoi Dieu ne commence-t-il pas par sécher la main de Jéroboam ? c'était afin que l'exemple de la pierre le rendît plus sage. Si la pierre ne se fût pas fendue, je t'aurais épargné; mais puisqu'elle s'est fendue, et que tu ne t'es pas corrigé, je tourne contre toi ma colère. Il étendit la main pour saisir le prophète, et sa main desséchée demeura comme un trophée, qui constatait son crime et sa honte. Tous les gardes, les officiers et les soldats qui l'environnaient ne purent la rétablir; elle resta publiant hautement le triomphe de la piété, la défaite du crime, la bonté du Seigneur, et la folie du prince, dont tous les satellites ne purent rétablir la main.

4. Mais pour ne pas perdre de vue notre sujet par de continuels écarts, prouvons ce que nous avons annoncé. Qu'avons-nous donc annoncé? Que quand on serait tout couvert des plaies du péché, si l'on fait pénitence, si l'on pratique le bien, Dieu les fera disparaître de façon qu'il n'en paraîtra ni cicatrice, ni trace, ni indice. Voilà ce que j'ai annoncé; voilà ce que je vais tâcher de prouver. Ecoutez, cieux; terre, prête l'oreille, parce que le Seigneur a parlé. (Is. I, 1 et suiv. ) Et qu'a dit le Seigneur? J'ai mis au monde des enfants, je les ai élevés, et ils m'ont méprisé. Le boeuf reconnaît celui auquel il appartient, l'âne reconnaît l'étable de son maître (ô Juifs ! plus stupides que les animaux les plus stupides !) et Israël ne m'a pas reconnu, et mon peuple m'a oublié. Malheur à la nation pécheresse ! Pourquoi malheur ! est-ce qu'il n'y a point d'espoir de salut ? pourquoi, prophète, t'exprimes-tu de la sorte? C'est que je ne trouve aucune guérison, c'est que j'ai employé des remèdes, et que le mal a résisté à tous les remèdes. Voilà pourquoi je me suis retiré. Qu'ai-je donc à faire? Je ne me fatiguerai point à guérir ce qui ne peut être guéri. Malheur ! ce mot est l'expression d'une femme qui se lamente. Malheur ! le prophète a raison d'employer cette parole. Suivez-moi, je vous prie, mes frères. Pourquoi dit-il Malheur? c'est qu'il éprouve ce qui arrive dans les maladies du corps. Lorsqu'un médecin voit un malade désespéré, il soupire, il répand des larmes; (327) les serviteurs et les proches se lamentent et gémissent, mais en vain et sans fruit; car lorsqu'un malade est près de mourir, quand le monde entier se lamenterait, il ne pourrait le rappeler à la vie ; de sorte que les lamentations sont un témoignage de tristesse, et non un moyen de salut. Mais il n'en est pas de même de l'âme; les pleurs rendent souvent la vie à ce qui est mort chez elle. Pourquoi ? c'est qu'aucune puissance humaine ne pourrait ressusciter un homme mort corporellement; au lieu que le repentir ressuscite celui qui est mort spirituellement. Regardez un fornicateur; pleurez sur son sort, et souvent vous le rendez à la vie. C'est pour cela que saint Paul ne se contentait pas d'avertir, mais qu'il pleurait en donnant des avis à chacun des fidèles. Et pourquoi pleurait-il? c'est afin que si les avertissements n'avaient pas assez de force, les pleurs vinssent au secours. C'est ainsi que le prophète se lamente. Le Fils de Dieu, qui voit dans l'avenir la ruine de Jérusalem , s'écrie : Jérusalem , qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés. (Matt. XXIII, 37.) IIladresse la parole à la ville dont il prévoit la ruine; il emploie le langage d'un homme qui se lamente. Ecoutons encore le prophète : Malheur à la nation pécheresse, au peuple chargé d'iniquité ! (Isa. I, 4 et suiv.) Vous voyez qu'il n'y a rien de sain dans eux, qu'ils sont tout couverts de plaies. Malheur à la race corrompue, aux enfants pervers! Pourquoi le prophète se lamente-t-il ? Vous avez, dit Isaïe, abandonné le Seigneur; vous avez irrité le Saint d'Israël. A quoi servirait de vous frapper davantage? De quel fléau vous affligerai-je? vous enverrai-je la faim, la peste? j'ai épuisé contre vous toutes les punitions, et votre perversité est toujours restée la même. O vous qui ajoutez sans cesse péché sur péché! Toute tête est languissante, tout coeur est abattu. Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Quel langage ! Tu disais tout-à-l'heure, prophète : Race corrompue, enfants pervers, vous avez abandonné le Seigneur, vous avez irrité le Saint d'Israël. Tu pleures, tu te lamentes, tu te livres au désespoir de la douleur, tu fais l'énumération des plaies; et, un moment après, tu dis : Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Expliquons le prophète. Il y a une plaie lorsque, le reste du corps étant sain, une seule partie est affectée et malade. Mais ici le prophète dit que tout le corps n'est qu'une plaie. Il n'y a pas simplement plaie, ulcère, partie enflammée; mais tout est malade depuis les pieds jusqu'à la tête. On ne peut ni appliquer de remèdes, ni bander les plaies, ni les adoucir avec l'huile. Votre terre est déserte, vos villes sont. brûlées par le feu, les étrangers dévorent votre pays. Je vous ai fait tous ces maux, et vous ne vous êtes pas corrigés ; j'ai épuisé toutes mes ressources, et le malade reste dans un état de mort. Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome et de Gomorrhe : Qu'ai-je besoin de la multitude de vos victimes ? Est-ce qu'il parle aux habitants de Sodome? Non; mais il appelle les Juifs habitants de Sodome, leur donnant le nom de ceux dont ils avaient le caractère. Ecoutez la parole dit Seigneur, princes de Sodome et de Gomorrhe : Qu'ai-je besoin, dit le Seigneur, de la multitude de vos victimes ? Je suis dégoûté des holocaustes de vos béliers, je ne veux pas du sang de vos agneaux. En vain vous -venez m'offrir la fleur de farine. Votre encens m'est en abomination. Je ne puis plus souffrir vos nouvelles lunes et vos sabbats. Je hais vos jeûnes et votre solennité du grand jour. Lorsque vous étendrez les mains vers moi, je détournerai les yeux de vous. Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai pas. Peut-on rien ajouter à une pareille colère? Le prophète invoque le ciel, il gémit, il pleure, il se lamente; il dit : Il n'y a point de plaie ni d'ulcère. Dieu est irrité ; il ne reçoit pas les sacrifices, les nouvelles lunes, les sabbats, l'offrande de la fleur de farine, les prières, les mains étendues vers le ciel. Vous voyez l'ulcère horrible, vous voyez la maladie incurable, non d'un seul homme, de deux, de dix, mais de plusieurs milliers d'hommes. Que dit ensuite Isaïe? Lavez-vous, purifiez-vous. Est-il un péché dont vous désespériez d'obtenir le pardon? Le même Dieu qui dit : Je ne vous écoute pas, dit aussi : Lavez-vous. D'où vient cette différence de langage? L'un et l'autre est utile, l'un pour vous effrayer, l'autre pour vous attirer. Si vous ne les écoutez pas, Seigneur, ils n'ont point d'espérance de salut; s'ils n'ont point d'espérance de salut, comment pouvez-vous leur dire : Lavez-vous? Mais Dieu est un père qui chérit ses enfants, le seul vraiment bon, le plus tendre de tous les pères. Et afin que vous sachiez qu'il est vraiment père, il dit aux juifs : Que te ferai-je, ô Juda ? Est-ce que vous ne savez pas, ô mon Dieu ! ce que vous ferez? (328) Je le sais, mais je ne veux pas agir. Leurs crimes énormes sollicitent ma vengeance, ma bonté infinie me retient. Que te ferai-je, ô Juda? t'épargnerai-je? mais tu n'en deviendras que moins attentif et moins vigilant. Te punirai-je? mais ma bonté s'y oppose. Que te ferai-je ? te consumerai-je parle feu comme Sodome? Te détruirai-je comme Gomorrhe? Mon coeur a changé. Dieu qui ne connaît pas les passions , emprunte le langage de l'homme qui les éprouve, ou plutôt il parle comme une mère tendre; il a changé, comme on le pourrait dire d'une femme pour son enfant : Mon coeur a changé comme celui d'une mère. Peu content de ces paroles, il ajoute : Je me suis troublé dans mon repentir. (Osée. II, 8.) Est-ce que Dieu se trouble? gardons-nous de le croire. Dieu ne peut éprouver de trouble. Mais, comme je l'ai dit, il prend nos façons de parler: Mon coeur a changé. Lavez-vous, purifiez-vous. Que vous ai-je annoncé, mes frères? ne vous ai-je pas dit que si Dieu voit les pécheurs disposés à faire pénitence, quand ils seraient chargés de crimes, tout couverts d'ulcères, il les traite et les guérit, sans qu'il reste aucune cicatrice, aucune trace, aucune marque de leurs péchés. Lavez-vous, purifiez-vous, délivrez vos âmes de toute iniquité; apprenez à faire le bien, imposez-vous-en la loi; jugez la cause de l'orphelin, rendez justice à la veuve. Ces préceptes ne sont pas difficiles à pratiquer; la nature nous y porte d'elle-même; la femme la plus faible est capable de compassion. Et après cela, venez, et soutenez contre moi votre cause. Commencez par agir, et je ferai le reste; faites quelque chose pour moi, et je ferai tout pour vous. Venez. Et à qui irons-nous? à moi que vous avez offensé, que vous avez irrité; à moi qui vous ai dit : Je ne vous écoute pas, afin qu'effrayés par cette menace, vous apaisiez ma colère; venez à celui qui refuse de vous écouter, afin qu'il vous écoute. Et que ferez-vous, Seigneur? Je ne laisserai aucune cicatrice, aucune trace, aucune apparence de péché. Venez, soutenez contre moi votre cause, dit le Seigneur. Il ajoute : Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige. Reste-t-il la moindre cicatrice, la moindre ride, la moindre tache? Quand ils seraient rouges comme le vermillon, je les rendrai aussi blancs que la laine la plus blanche. Reste-t-il aucune marque, aucune ombre de noirceur? Comment s'opère ce changement? Ne vous l'ai-je pas promis? car c'est un oracle de la bouche du Seigneur. (Job, XIV, 4.) Vous voyez non-seulement la grandeur des promesses, mais la majesté de celui qui accorde cette grâce. Tout est possible à Dieu qui peut nous purifier des plus grandes souillures. Ecoutons-le donc, et convaincus de toute l'efficacité du remède de la pénitence, renvoyons-en la gloire à Celui à qui appartient la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

NEUVIÈME HOMÉLIE. De la pénitence. — De ceux qui ont manqué au assemblées. — De la sainte table. — Du jugement.

ANALYSE.

Saint Jean Chrysostome établit la nécessité des bonnes oeuvres, et réfute les objections de ceux qui les regardaient comme extrêmement difficiles dans les embarras du monde. — Il s'élève avec force contre ceux qui, après avoir promis un moment auparavant de tenir leur coeur élevé à Dieu, se rendaient coupables à l'heure même, en employant à de vains discours le temps du sacrifice terrible. — Il les conjure de ne point s'absenter de l'église les jours de sacrifice et de ne point s'amuser à discourir pendant qu'il est offert, mais d'y assister avec une sainte frayeur, les yeux baissés, l'esprit élevé vers le Seigneur, après s'être dépouillés en entrant de toute inimitié, persuadés que nous serons mesurés à la même mesure que nous aurons mesuré les autres. — Gardez-vous bien de croire, ajoute-t-il, que ce que vous mangez soit du pain, ou que ce que vous buvez soit du vin. — Ces aliments ne sont pas sujets aux mêmes vicissitudes que les autres.

Il les fait souvenir de l'heure à laquelle ce monde finira et, après un tableau saisissant du néant de toutes choses ici-bas, il ajoute qu'après cette vie il n'y aura plus lieu de mériter ni de faire pénitence.

De même que celui qui sème perd son temps s'il répand sa semence le long du chemin, ainsi ne nous servira-t-il de rien d'être appelés chrétiens si nos oeuvres ne répondent pas au nom que nous portons. En voulez-vous la preuve? Ecoutez un témoin digne de foi, saint Jacques, le frère de Notre-Seigneur, qui vous crie : La foi sans les oeuvres est morte. (Jacques, II, 17.) Donc la pratique des oeuvres est partout nécessaire : sans elle le nom de chrétiens ne pourra nous être utile. Et n'en soyez pas surpris; car dites-moi ce que gagne un soldat à figurer dans une armée, s'il ne se montre digne du service militaire en combattant pour le roi qui le nourrit? Peut-être même, — car ce que je vais dire est terrible, — eût il mieux valu pour lui n'être pas sous les armes, que de négliger l'honneur de son roi; comment, en effet, pourra-t-il échapper au châtiment, lui qui nourri par le roi, ne combat pas pour lui? Et que parlé je de négliger le service d'un roi? il s'agit de bien plus, il s'agit de nos âmes elles-mêmes dont nous négligeons les intérêts. Mais il est impossible, dit-on, de se sauver en vivant au milieu du monde et de ses embarras.

Comment cela, mes frères? Si vous le voulez bien, je vais montrer en peu de mots que ce n'est pas le lieu qui sauve, mais bien la conduite et la volonté. Adam, dans le Paradis terrestre, comme dans un port, a fait naufrage; Loth, à Sodome, comme en pleine mer, a été sauvé (Gen. XIII et XIX) ; Job, sur son fumier, fut justifié, tandis que Saül, au sein de l'opulence, perdit les biens de la vie présente et ceux de la vie future. C'est donc une vaine excuse de dire : Je ne puis vivre dans le monde, au milieu des affaires, et me sauver. Mais d'où vient la difficulté? De ce que vous n'assistez pas assidûment soit aux prières (330) publiques, soit aux assemblées saintes. Voyez ceux qui briguent quelque dignité auprès d'un roi de la terre ! comme ils sont empressés, comme ils stimulent leurs protecteurs pour obtenir ce qu'ils recherchent ! Je dirai donc à ceux qui abandonnent les divines assemblées ou qui pendant la cène redoutable et mystique s'amusent à de vaines conversations: Que faites-vous, chrétiens ? Où sont vos promesses au prêtre qui vous a crié : En haut vos esprits et vos coeurs ! et à qui vous avez répondu : Nous les tenons élevés vers le Seigneur ? Et vous n'êtes pas tremblants et confus d'être convaincus de mensonge à cet instant redoutable? O prodige ! La table mystique est préparée, l'Agneau de Dieu s'immole pour vous, le prêtre plaide votre cause, la flamme sacrée jaillit de la table sainte, les chérubins sont présents, les séraphins accourent, et les esprits aux six ailes se couvrent la face : toutes les puissances incorporelles intercèdent pour vous avec le prêtre, le feu divin est descendu du ciel, le sang a coulé du côté de l'Agneau sans tache pour vous purifier, et, encore une fois, vous ne tremblez pas, vous ne rougissez pas d'être convaincus de mensonge à cette heure terrible. Il y a cent soixante-huit heures dans la semaine, le Seigneur s'en est réservé une, une seule, et vous l'employez à des oeuvres séculières et ridicules, à de vaines causeries ! Avec quel confiance pouvez-vous approcher des saints mystères, la conscience ainsi souillée, vous qui n'oseriez toucher avec des mains salies le bas de la robe d'un prince ?

Gardez-vous bien de croire que ce que vous mangez soit du pain ou que ce que vous buvez soit du vin. Ces aliments ne sont pas sujets aux mêmes vicissitudes que les autres. Comme le feu pénètre la cire, sans rien perdre de sa substance, sans y ajouter rien : ainsi, quand vous communiez, les saints mystères passent tout entiers dans la substance du corps. Aussi, lorsque vous approchez, ne croyez pas recevoir le corps divin de la main d'un homme, mais représentez-vous les séraphins eux-mêmes avec une tenaille, vous offrant le feu pris sur l'autel du ciel, selon la vision d'Isaïe (VI, 6) ; et lorsque vous participez au sang du salut, que ce soit comme si vous appliquiez vos lèvres au côté divin de l'Agneau sans tache. C'est pourquoi, mes frères, fréquentons les églises et à l'avenir ne nous y livrons plus à des entretiens frivoles. Soyons-y craintifs et tremblants, les yeux baissés, l'esprit élevé, la tristesse sur le visage, la joie dans le coeur. N'avez-vous pas remarqué ceux qui entourent ici-bas un prince visible, sujet à la corruption et à la mort? Comme ils sont immobiles,'calmes, silencieux ; ils ne regardent pas autour d'eux, mais vous les voyez toujours sérieux, humbles, craintifs! Prenez exemple sur eux, Chrétiens, et tenez-vous en la présence de Dieu comme si vous étiez en face d'un roi de la terre : il y a bien plus lieu de trembler quand on est devant le Roi du Ciel. Je ne cesserai de vous faire ces recommandations que quand je vous verrai corrigés. Entrons dans l'église et approchons-nous de Dieu avec les dispositions convenables. Chassons de notre coeur tout ressentiment, de peur qu'en priant nous ne nous condamnions en disant: Pardonnez-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Matth. VI, 12.)

C'est une parole terrible que celle-là, et celui qui la prononce crie en quelque sorte à Dieu J'ai pardonné, Seigneur, pardonnez-moi; j'ai remis, remettez-moi: j'ai fait grâce, faites-moi grâce; si je n'ai pas pardonné, ne me pardonnez pas; si je n'ai pas remis à mon prochain sa dette, ne me remettez pas mes péchés; servez-vous envers moi de la mesure dont je me sers envers les autres.

Que ces réflexions, jointes à la pensée du jour terrible du jugement, du feu de l'enfer et de ses horribles tourments, nous fassent quitter désormais la voie dans laquelle nous avons erré.

Viendra l'heure en effet, où la scène de ce monde disparaîtra, et il n'y aura plus de prix à disputer; après cette vie on ne trouvera plus d'autre théâtre pour s'exercer, il ne sera plus temps de mériter des couronnes.

Voici le temps de la pénitence, alors ce sera celui du jugement; ici les combats, là les couronnes; maintenant le travail, ailleurs le repos; aujourd'hui les peines, plus tard les récompenses. Réveillez-vous, je vous en conjure, réveillez-vous, et écoutons avec empressement ce qu'on nous dit. Nous avons vécu de la vie de la chair, vivons désormais de celle de l'esprit; nous avons vécu dans les plaisirs, vivons maintenant dans les vertus ; nous avons vécu dans la négligence, vivons à tout jamais dans la pénitence. De quoi s'enorgueillissent la terre et la poussière ? (Eccli. X, 9.) Pourquoi t'élever ainsi, ô homme? Pourquoi cette arrogance, (331) ces espérances dans la gloire et les richesses du monde? Transportons-nous ensemble auprès des tombeaux; contemplons les mystères de la mort: voyons la nature en lambeaux, des os en poussière, des corps en putréfaction. Si tu es sage, examine, et dis-moi, si tu peux, où est ici le roi, où le sujet? où le noble, où l'esclave? où le sage, où l'insensé? Beauté de la jeunesse, gracieux aspect, regards étincelants, nez si bien formé, lèvres vermeilles, joues si fraîches, front si brillant, je vous cherche en vain ! Je ne vois que cendre, que poussière; je ne trouve que vers, exhalaisons fétides, pourriture... !

Méditons sur toutes ces choses, mes frères; pensons à notre dernière heure, et pendant qu'il en est temps encore, quittons la voie où nous avons erré. Nous avons été rachetés au prix d'un sang précieux. (I Pierre, I, 19.) C'est pour cela que Dieu a paru sur la terre. C'est pour toi, ô homme ! qu'il y est venu, n'ayant pas même où reposer sa tête. (Luc, IX, 58.) O prodige ! Le juge est conduit au tribunal à cause des coupables, la vie se soumet à la mort, le créateur est souffleté par la créature, celui que les séraphins ne peuvent contempler est conspué par l'esclave; il est abreuvé de vinaigre et de fiel, il est percé d'une lance, il est déposé dans un sépulcre : et vous ne songez même pas à ces merveilles, vous les oubliez, vous les méprisez ! Ne savez-vous donc pas que quand même vous répandriez pour Dieu votre propre sang, vous n'auriez pas encore fait assez, car, autre est le sang du Maître, autre celui de l'esclave. Prévenez par la pénitence et par une conversion sincère le départ de votre âme, de peur que la mort ne vous surprenne et ne rende inutile pour vous le remède de la pénitence; parce que sur la terre seulement la pénitence a de la vertu ; dans l'enfer elle n'a plus d'effet.

Cherchons le Seigneur tandis qu'il en est temps encore ; faisons le bien, afin d'être délivrés des peines éternelles, et mis en possession du bonheur des cieux, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

Traduit par M. l'abbé GAGEY, curé de Millery.